Près de 150 ex-traducteurs afghans de l’armée française vivent en Afghanistan dans l’angoisse d'essuyer des représailles. La France doit envoyer une mission pour rouvrir certaines demandes de visa en suspens depuis des années.
La France devrait réexaminer les dossiers des anciens interprètes afghans de l’armée française à partir de la mi-novembre, à la demande du président français, selon l’association des interprètes afghans de l’Armée française. Cette décision, qui était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, intervient après des années de contentieux et des situations dramatiques pour ceux restés en Afghanistan, à défaut d’avoir eu un visa pour la France.
Aux yeux des Taliban, ceux qui ont travaillé avec des militaires étrangers sont des traîtres à éliminer. La situation se fait d’autant plus urgente pour eux, que ces insurgés gagnent du terrain en Afghanistan et que les conditions sécuritaires se dégradent à Kaboul. L’un des ex-collaborateurs de l’armée française, Mohammad Qader, a d’ailleurs été tué par un kamikaze dans un attentat à la bombe commis le 24 octobre contre un bureau de vote du nord de la capitale afghane, lors des élections législatives.
Paris devrait envoyer une mission à l’ambassade de France à Islamabad, au Pakistan, à partir du 15 novembre afin d’étudier les dossiers de ses anciens traducteurs, le service consulaire de l’ambassade de France à Kaboul étant fermé pour raison de sécurité.
Une promesse non tenue du candidat Macron
Pendant la campagne électorale en 2017, le candidat Macron avait qualifié de "trahison" le comportement de la France à l'égard des Afghans qui ont travaillé pour l’armée française, allant jusqu’à comparer leur sort à celui des "harkis".
Pourtant, presque deux ans se sont écoulés depuis cette promesse et ils sont encore près de 150 à attendre un visa pour la France. "Depuis 2013, la France a rapatrié 173 anciens collaborateurs afghans de l’armée, mais le dispositif de relocalisation prévu n’a pas permis d’assurer la protection de l’ensemble des personnes qui auraient mérité d’en bénéficier", regrette Caroline Decroix, vice-présidente de l’association des interprètes afghans de l’Armée française, jointe par France 24.
"La France se base sur des critères subjectifs autres que la menace qui pèse sur ces interprètes restés en Afghanistan. La ‘capacité d’intégration en France’ notamment est un critère fourre-tout", souligne Caroline Decroix, qui craint que le réexamen annoncé par la France ne se fasse selon des appréciations identiques.
Mohammad Qader, tué avant d’avoir pu contester son refus de visa
Quelque 90 % des interprètes afghans laissés sur le carreau sont des anglophones. C’était le cas de Mohammad Qader, tué dans l’attaque à Kaboul. "Les autorités françaises estiment qu’ils [les interprètes anglophones] ne maîtrisent pas la langue française et ne peuvent donc pas s’intégrer", déplore Caroline Decroix.
Mohammad Qader avait travaillé entre 2011 et 2012 pour l’armée française à Tagaab, dans une région très dangereuse, où sont morts la plupart des 89 soldats français qui ont perdu la vie en Afghanistan. Le traducteur afghan avait pour mission de former les soldats afghans et participait à des projets de développement, rapporte Libération.
Deux visas lui avaient été refusés par Paris d'abord en 2012, puis en 2015. Lui n’avait pas pu bénéficier de l’aide d’un avocat français bénévole, l’association n’ayant pu en trouver que pour 39 des interprètes en difficulté. Aussi Mohammad Qader n’avait pas pu lancer de recours pour demander une annulation de son refus de son deuxième visa, comme l’ont fait plusieurs de ses ex-collègues auprès du tribunal administratif de Nantes. Pour certains des interprètes accompagnés par des avocats, le tribunal a prononcé un réexamen de leur dossiers, d’autres ont même reçu une décision qui enjoint la délivrance d’un visa au mois de mai – visa qu’ils n’ont toujours pas reçu à ce jour.
L’angoisse des autres traducteurs toujours sur place
Cette semaine, une lettre venait d’arriver pour Mohammad Qader. Elle annonçait qu’il avait enfin droit un avocat. L’association est parvenue à lui en trouver un au titre de l’aide juridictionnelle, même s’il ne résidait pas en France. Une aide qui lui a été accordée à titre exceptionnel, au vu de l’urgence de son dossier. Puisqu’il ne pourra pas en bénéficier, l’association a décidé de la reporter sur son épouse et ses enfants qui se retrouvent seuls à Kaboul.
"Si la France avait accordé son visa à Mohammad Qader, il serait encore avec sa famille aujourd’hui", déplore Elias*, contacté par France 24. Cet autre ex-interprète de l’armée française a connu Mohammad. Lui aussi vit en suspens depuis plusieurs années dans l’attente d’un visa qui lui permettrait de mettre sa famille à l’abri en France. "Nous vivons dans une prison ici", s’insurge-t-il.
L’homme ne sort quasiment plus de chez lui par peur d’être reconnu par des Taliban. La dégradation de la sécurité à Kaboul accentue ses angoisses. "Depuis la mort de Mohammad Qader, ma femme qui est enceinte ne dort plus" raconte-t-il. Elias et sa famille doivent déménager tous les trois mois pour ne pas se faire repérer, ou fuir les violences. Le dernier logement qu’ils ont quitté se trouvait à proximité d’une salle de sport très fréquentée de Kaboul dans laquelle un double-attentat à la bombe a fait une vingtaine de morts en septembre. Parmi les victimes, il a perdu deux voisins proches.
* Le prénom a été changé
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