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Papillomavirus et cancers : les éléments pour comprendre la future campagne de vaccination dans les collèges

Judith Mueller, École des hautes études en santé publique (EHESP)

Le 29 mai dernier, le Centre de recherche sur les cancers de Heidelberg (DKFZ), en Allemagne, a annoncé le décès de Harald zur Hausen, à l’âge de 86 ans. Ce médecin et virologue avait reçu le prix Nobel de médecine en 2008, pour avoir démontré que l’infection persistante par certains papillomavirus humains (en anglais human papillomavirus, abrégé HPV) était l’unique cause de la principale forme de cancer du col de l’utérus.

Cette découverte s’est avérée extrêmement importante pour la prévention. En effet, le cancer du col de l’utérus est un des rares exemples de cancer résultant d’une cause unique, identifiée et évitable. Les travaux de Harald zur Hausen ont ouvert la voie à la prévention de ce cancer par la vaccination.

En France, la vaccination contre les papillomavirus humains est recommandée depuis 2008. En février 2023, le président de la République a annoncé la mise en place d’une campagne de vaccination contre ces virus dans les classes de 5? des collèges français. Dès la rentrée, filles et garçons pourront, sous couvert d’avoir l’accord de leurs deux parents, se faire vacciner gratuitement contre les papillomavirus.

Les campagnes vaccinales à l’école constituent une mesure exceptionnelle dans notre pays. Quels sont aujourd’hui les arguments pour cette exception et rendre cette vaccination contre plusieurs cancers gratuitement accessible à tous les collégiens de 5e ?

Du prix Nobel à la vaccination

Plus de 200 différents types (on parle de « génotypes ») de HPV sont aujourd’hui connus. Tous se transmettent par contact direct et provoquent des verrues à différents endroits du corps, notamment les mains et pieds. Parmi eux, environ 40 types infectent spécifiquement la peau de la sphère génitale, anale ou ORL (bouche et gorge), dont 12 sont considérés comme « à haut risque », car oncogènes (pouvant provoquer un cancer).

En France chaque année, on estime que plus de 6 000 nouveaux cancers sont dus à des HPV, dont environ la moitié sont des cancers du col de l’utérus, la structure anatomique qui ferme l’utérus vers l’extérieur. L’autre moitié est constituée, environ à part égal, de cancers de l’anus (plus fréquents chez les femmes) et de la sphère ORL (plus fréquents chez les hommes). D’autres cancers causés par les HPV concernent aussi les organes génitaux des hommes et des femmes.

Le cancer du col de l’utérus se déclare typiquement à un âge relativement jeune, chez des patientes qui ont souvent des enfants à charge. Il est fatal pour environ un tiers d’entre elles, malgré un dépistage organisé au niveau national (détection des lésions superficielles avant la survenue du cancer, ou des stades précoces, plus faciles à traiter) et malgré des protocoles de prise en charge performants.

En outre, le traitement nécessaire en cas de lésion précancéreuse consiste en l’ablation d’une partie du col de l’utérus, ce qui augmente le risque de naissance prématurée lors de futures grossesses.

De nombreuses études internationales révèlent qu’une première infection génitale par un HPV est quasi-systématique chez les jeunes adultes. L’infection persistante, contre laquelle aucun traitement n’existe à ce jour, peut déclencher le développement d’un cancer à l’endroit infecté.

1. La perspective de l’élimination du cancer du col

Le principe d’immunité de groupe s’applique à la vaccination contre les HPV. L’efficacité du vaccin contre l’infection HPV étant très élevée, l’on peut envisager d’interrompre la circulation des types de virus inclus dans le vaccin par une forte couverture vaccinale.

L’infection HPV étant la seule cause du cancer du col, ce cancer pourra donc disparaître de la population. Par exemple, selon une modélisation pour la population américaine, en maintenant à une couverture vaccinale de plus 65 % chez les filles et 55 % chez les garçons, la fréquence des nouveaux diagnostics de cancer du col de l’utérus tombera en dessous du seuil de l’élimination défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

L’Australie pourrait être le premier pays à atteindre cet objectif. Ce pays a en effet obtenu de longue date un fort taux de couverture vaccinale, tout sexe confondu : en 2017, soit 10 ans après le début de la campagne nationale de vaccination, 89 % des filles et 86 % des garçons avaient déjà reçu une dose de vaccin à l’âge de 15 ans. À l’issue des six premières années de vaccination, en 2012, le pourcentage de femmes âgées de 18 à 24 ans infectées avec un génotype ciblé par la vaccination avait diminué de 29 % à 7 %.

Au total, il est attendu qu’en deux décennies, le cancer du col aura quasiment disparu des pays qui auront vacciné la majorité des enfants contre les HPV. La France pourrait être parmi eux.

2. L’efficacité vaccinale contre le cancer du col démontrée

Si la prévention du cancer du col de l’utérus par la vaccination anti-HPV apparaît tout à fait logique, étant donné la forte protection que confère celle-ci contre les infections, des voix critiques soulignaient ces dernières années que l’efficacité vaccinale contre le cancer lui-même n’avait pas encore été formellement démontrée (cela s’explique par le délai de plusieurs années entre infection et apparition du cancer).

C’est désormais chose faite, depuis la publication en 2020 de données issues de la population suédoise. Celles-ci mettent en évidence la protection spécifique contre les cancers du col de l’utérus que confère la vaccination anti-HPV. En consultant le graphique ci-dessous, on constate que l’écart en fréquence du cancer du col se creuse, dès l’âge de 24 ans, entre le groupe de femmes vaccinées avant l’âge de 17 ans (courbe verte), et celles qui n’ont pas été vaccinées (courbe orange) ou qui ont été vaccinées plus tard (courbe bleue). Cette efficacité a été confirmée par d’autres études.

Figure établissant le lien entre vaccination et protection contre le cancer du col de l’utérus, d’après Lei J., et al. (2020) HPV Vaccination and the Risk of Invasive Cervical Cancer. New England Journal of Medicine

3. 15 ans d’observation de la sécurité du vaccin

Aujourd’hui, après plus de 15 ans d’observation et des millions de doses utilisées dans le monde, on peut conclure à la sécurité de la vaccination contre les HPV.

Parmi les soupçons exprimés dans le passé figuraient un lien causal entre cette vaccination et le syndrome de fatigue chronique ou des maladies auto-immunes (des maladies causées par des anomalies du système immunitaire, qui attaque l’organisme). Cependant, de nombreuses études menées pour vérifier l’existence de ce lien n’ont pas pu confirmer ces craintes.

Une étude française, menée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et reposant sur les données de remboursement des médicaments et des soins, avait toutefois pointé vers une association statistique entre vaccination HPV et syndrome de Guillain-Barré. Ce syndrome auto-immun se manifeste typiquement après une infection grippale et entraîne une paralysie. Mais plusieurs études similaires réalisées dans d’autres pays (dont en Angleterre, en Suède et aux États-Unis) n’ont pas trouvé une telle association statistique.

Enfin, les résultats d'une méta-analyse regroupant toutes les données disponibles au niveau mondial, suggèrent qu’on ne peut pas scientifiquement confirmer un lien entre vaccination HPV et le syndrome de Guillain-Barré.

Au total, les observations cumulées suggèrent que – au-delà du risque de réaction allergique, présent pour tous les vaccins – la vaccination anti-HPV ne provoque pas d’effet indésirable grave.

4. La vaccination recommandée aussi aux garçons

La haute Autorité de santé (HAS) a recommandé en 2019 que la vaccination HPV soit aussi proposée et remboursée chez les garçons de 11-14 ans. Cette recommandation a été intégrée dans le calendrier vaccinal en 2021.

Quels sont les arguments en faveur de vacciner les garçons autant que les filles contre les HPV ?

Tout d’abord, les hommes bénéficieront directement (c’est-à-dire par leur propre vaccination) d’une protection contre les cancers et verrues de la sphère ano-génitale (pénis et anus), contre lesquels l’efficacité du vaccin est déjà établie.

Par ailleurs, comme évoqué précédemment, les HPV induisent aussi des cancers ORL, et ces derniers sont plus fréquents chez les hommes. Or, la vaccination procure une forte protection contre l’infection orale persistante par les HPV de type oncogène. Soulignons qu’étant donné que ces cancers peuvent aussi être causés par l’alcool et le tabagisme, il convient d’attendre que des études épidémiologiques démontrent formellement l’impact de la vaccination sur le risque de ces cancers. On peut toutefois logiquement supposer que la vaccination protégera contre une bonne partie de ces cancers assez fréquents.

Un autre argument pour la vaccination des garçons est qu’ils sont de futurs partenaires et conjoints, et risqueront à ce titre de transmettre les HPV. Leur vaccination permettra d’accélérer la réduction du risque du cancer du col, un effet important tant que la couverture vaccinale dans la population féminine ne dépasse les 80 %.

Sur le plan pratique, recommander la vaccination à tous les jeunes facilite la promotion du vaccin, non seulement du point de vue des médecins généralistes, mais aussi en milieu scolaire, car la communication n’a pas besoin d’être ciblée aux jeunes filles et leurs parents.

Soulignons enfin que l’OMS recommande de vacciner les garçons « lorsque cela s’avère faisable sur le plan pratique et économique ». Cette formulation s’inscrit dans un souci de prioriser l’utilisation des doses vaccinales pour la lutte contre le cancer du col de l’utérus, dont la prise en charge médicale n’est pas garantie dans de nombreux pays. Cette même raison justifie aussi la position de l’OMS en faveur d’un schéma vaccinal à une seule dose.

5. Le défi de promouvoir une vaccination pour les jeunes de 11 à 14 ans

L’âge recommandé pour la vaccination HPV a été avancé en France en 2012 (de 14 ans à 11-14 ans), notamment pour réduire le nombre de doses de vaccins nécessaires : 2 doses au lieu de 3, grâce à la meilleure réponse immunitaire (la quantité d’anticorps produits par le corps est plus importante à un âge plus jeune). Cela permet aussi de s’éloigner de la perception d’un vaccin « d’entrée à la vie sexuelle ».

Mais promouvoir une vaccination à cette période de la vie n’est pas chose facile : globalement, cette tranche d’âge voit rarement son médecin traitant en dehors de situations d’urgence. Par ailleurs, lors d’une consultation, les médecins généralistes ont de nombreux autres messages de prévention à faire passer, et ils ne proposent pas systématiquement la vaccination HPV.

Ainsi en France, si la couverture de vaccination contre les HPV augmente depuis plusieurs années, elle ne dépasse pas encore les 50 % : fin 2022, 48 % des filles et 13 % des garçons de 15 ans avaient reçu au moins une dose de vaccin.

Une revue des politiques vaccinales en Europe a révélé que les pays qui organisent des campagnes dans les collèges atteignent de fortes couvertures vaccinales. Ainsi, le Royaume-Uni, le Portugal et la Suède rapportent des couvertures de plus de 80 % chez les filles (et les garçons, s’ils sont aussi ciblés).

Autre enjeu de la vaccination à l’école : les inégalités sociales face à la vaccination. Il existe en effet en France un écart de 7 % au niveau de la couverture vaccinale entre les filles vivant dans les communes les plus favorisées et celles vivant dans les communes les moins favorisées. Les mêmes travaux ont montré que cet écart atteint 20 % pour les jeunes couverts par la CMU-C (aujourd’hui appelée « Complémentaire santé solidaire »). Les raisons pour ces inégalités de vaccination s’expliquent non seulement par un moindre recours aux consultations médicales et par des barrières financières, mais aussi par une information et proposition vaccinale insuffisamment adaptées.

Combiné avec une adhésion inégale au dépistage, cet écart dans l’accès des jeunes au vaccin fait que les cancers liés aux HPV risquent de devenir en France un marqueur social. Informer, proposer et rendre accessible la vaccination HPV à toutes les familles est donc une priorité.

Dans ce contexte, les professionnels de santé publique recommandent depuis plusieurs années l’organisation de campagnes vaccinales contre les HPV dans les collèges.

Le projet de recherche interventionnelle PrevHPV expérimente actuellement différentes modalités de promotion vaccinale, par des séances d’éducation en classe de 4e-3e, par des campagnes vaccinales en collège, et par une formation en appui des médecins généralistes. Les résultats permettront de juger si la vaccination au collège peut tenir la promesse d’augmenter de la couverture vaccinale et d’aborder les inégalités sociales.

Et si l’on ne souhaite pas que son enfant soit vacciné·e à l’école ?

Les campagnes menées au collège faciliteront aussi le travail des médecins, en participant à l’information des adolescents et de leurs parents (y compris dans les autres classes de collège).

Au-delà de 14 ans, la vaccination (à trois doses) est remboursée jusqu’à l’âge de 19 ans. Par ailleurs, les sages-femmes peuvent déjà prescrire et réaliser la vaccination HPV et les textes réglementaires sont attendus pour donner ces mêmes compétences aux pharmaciens et infirmiers.

Pour finir, rappelons que, statistiquement, parmi les élèves inscrits dans un collège de taille moyenne en France (soit environ 500 élèves), en l’absence de vaccination 2 filles se verront diagnostiquer au cours de leur vie un cancer du col de l’utérus, et 2 garçons auront un cancer de la sphère ORL.

Judith Mueller, Professeur en épidémiologie, École des hautes études en santé publique (EHESP)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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