Les jeunes sont particulièrement touchés par l’anxiété en cette période troublée. Joyce Kelly / Unsplash
Antoine Pelissolo, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)L’actualité ukrainienne est venue ajouter de l’incertitude à un quotidien déjà compliqué par deux ans de pandémie et de crise sanitaire. Professeur de psychiatrie à l’Université Paris Est Créteil et chef du service de psychiatrie sectorisée au CHU Henri-Mondor, Antoine Pelissolo nous explique comment faire face à l’anxiété qui peut résulter de ce contexte difficile.
The Conversation : Quelles sont les répercussions sur la santé psychique des populations de la situation actuelle ?
Antoine Pelissolo : L’incertitude et le stress qui ont résulté de la situation sanitaire, ainsi que la perception d’une menace potentielle pour la santé et l’avenir, ont contribué à augmenter le niveau d’anxiété général, qui reste encore aujourd’hui élevé.
La majorité d’entre nous est capable de faire face à ce type de contexte, développant une forme d’habituation voire de résilience. Cependant, 10 à 15 % des individus présentent une forte sensibilité initiale au stress, du fait de pathologies préexistantes, et 25 à 30 % d’autres finissent par être fragilisés par ces situations lorsqu’elles durent. Cela se traduit par des crises d’angoisse, des troubles du sommeil, de l’épuisement.
S’il ne s’agit pas toujours d’atteintes particulièrement graves, ces états peuvent générer une souffrance significative qui doit être prise en compte. Et ce d’autant plus qu’environ une personne sur cinq peut développer un état dépressif réel, du fait de prédispositions et/ou de facteurs de stress de ce type.
The Conversation : Est-ce que certains individus sont plus concernés que d’autres ?
Antoine Pelissolo : Les consultations de jeunes de 15 à 30 ans sont en très nette augmentation. Cela s’explique par plusieurs facteurs. Il s’agit d’une tranche d’âge où l’on a plus de fragilités psychologiques. À cette situation se sont ajoutées les difficultés liées à la pandémie. La fermeture des universités a notamment accru les difficultés de certains à mener correctement leur année scolaire, voire y a mis un coup d’arrêt. Or pour un jeune adulte de 18 ans, qui a tout à construire, une année n’a pas la même valeur que pour une personne de 50 ans. Cela peut entraîner une rupture dans la trajectoire de vie et une forme de désespérance.
Celle-ci a pu être aggravée par la perte des repères sociaux dus aux confinements, aux couvre-feux, à la fermeture des lieux de sociabilisation (théâtres, cinémas, salles de sport…), à l’éloignement d’avec ses proches… Ces situations compliquées se sont ajoutées à des questionnements générationnels sur le devenir du monde, l’état de la planète, l’avenir professionnel… Ce cumul fait que certains se retrouvent fragilisés, avec l’impression qu’ils n’ont plus grand-chose à quoi se raccrocher. Ce qui est inquiétant, c’est que l’on a aussi vu des jeunes dont l’entourage était présent finir par craquer eux aussi.
Le problème est qu’il est actuellement très difficile d’avoir accès à des consultations, l’offre psychologique et psychiatrique est très largement inférieure aux besoins.
T.C. : Le déclenchement de la guerre en Ukraine n’a pas dû améliorer les choses…
A.P. : Il est encore un peu tôt pour en prendre la mesure, mais effectivement, cela ne peut qu’aggraver la situation, être à l’origine de décompensations.
Nous n’avons pas tous les mêmes sujets de préoccupation : la survenue d’un motif d’angoisse supplémentaire pourrait élargir le spectre des personnes touchées par l’anxiété. Des gens qui n’avaient jusqu’ici peu été que peu affectées par l’actualité pourraient se sentir davantage concernées, en raison de variables personnelles.
T.C. : Comment se protéger ?
A.P. : Le premier conseil, le plus évident, est de ne pas s’exposer en permanence aux sources d’angoisse que constituent, par exemple, les chaînes d’actualités en continu ou les réseaux sociaux. Le risque est en effet d’amplifier la perception de la menace et le sentiment d’impuissance.
Il est important de mettre en place une forme de rationalité face à des peurs qui sont souvent débordantes : par exemple se souvenir que, si dramatique que soit la situation en Ukraine, nous ne sommes pas nous-mêmes exposés à la guerre sur notre sol, et donc pas en danger proche.
Le principal moteur d’angoisse est l’incertitude, notamment face à l’avenir à long terme. Certaines personnes ont tendance à « se préparer au pire », comme si c’était un moyen de l’éviter. Ce faisant, elles tentent d’anticiper des événements qui n’arriveront jamais, au prix d’une angoisse importante, et finissent par ne plus pouvoir relativiser en termes de risque et de gravité.
D’une manière générale, l’idée est plutôt de gérer au jour le jour, de s’ancrer dans le moment présent. Il ne s’agit pas de déni, mais plutôt d’avancer par petits pas, au fur et à mesure : garder à l’esprit qu’il faudra peut-être affronter des problèmes plus complexes le jour venu, mais en restant concentré sur les éléments du présent, sur lesquels on peut agir.
T.C. : Existe-t-il des pratiques qui permettent de mieux gérer son stress ?
A.P. : Les moyens habituellement mis en œuvre pour lutter contre le stress et l’anxiété, quelles qu’en soient les causes, fonctionnent évidemment aussi dans cette situation : la relaxation, les exercices de respiration, le sport, le yoga, la marche, la méditation, les activités artistiques… Autant de moyens auxquels certains ont déjà eu recours pendant la crise sanitaire. Ces approches, si possible en contact avec la nature, réduisent le niveau de stress moyen et génèrent des émotions positives qui favorisent le bien-être.
Il est aussi important de mettre en place un rythme de vie que l’on maîtrise, au moins en partie : s’accorder des temps de pause ou de distraction qui ne sont pas seulement dictés par l’actualité et la nécessité.
Enfin, la socialisation est également efficace pour gérer son stress : échanger avec les autres, partager son ressenti peut être une source de bien-être.
S’investir dans des actions d’entraide, de solidarité, permet aussi de lutter contre son sentiment d’impuissance. Mais il faut trouver le bon degré, tout le monde n’a pas forcément cette disponibilité, et il ne faut pas non plus culpabiliser si l’on n’en est pas capable. Tout comme il ne faut pas culpabiliser si l’on ressent davantage le besoin de s’occuper de soi. Faire ce qu’il faut pour se sentir bien permet aussi de mieux s’ouvrir aux autres.
L’important est de réussir à canaliser son ressenti : il faut éviter le débordement émotionnel, l’excès, qu’il soit positif ou négatif. Rediriger le flux vers des espaces plus gérables. La méditation peut aider à transformer un sentiment d’impuissance en compassion et en altruisme, par exemple.
T.C. : Comment faire pour apaiser l’angoisse des enfants ?
A.P. : Il faut avant tout ne pas hésiter à répondre à toutes leurs questions, et à entamer le dialogue, quel que soit leur âge, s’ils en font la demande. Même chez les plus petits : dès 4 ou 5 ans, ils perçoivent déjà énormément de choses. Il faut leur dire les choses telles qu’elles sont, tout en adaptant bien entendu son langage pour qu’il soit compréhensible et non anxiogène.
Il est notamment important de leur fournir des éléments de réassurance : leur expliquer que nous ne sommes pas directement concernés en France, que la guerre se passe dans un autre pays… Les enfants ont toujours peur de ce qui peut leur arriver, ou de ce qui peut arriver à leurs parents.
Et comme pour les adultes, il est important de leur procurer des moments de distraction, de participer à des activités avec eux, de les aider à se relaxer, notamment au moment du coucher.
Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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