Nathalie Kosciusko-Morizet a donc fini la campagne des législatives à l’hôpital, contrainte d’annuler ses rendez-vous dans la dernière ligne droite. Tout le monde a vu les photographies de l’agression, jeudi, au marché de la place Maubert (Ve arrondissement de Paris), un homme chauve arrachant les tracts de la candidate LR et les lui jetant au visage en criant : «Bobo de merde.»
L’ancienne ministre, sans doute poussée par l’homme, est tombée à la renverse, sa tête cognant contre le bitume. Elle est restée évanouie quelques minutes avant l’intervention des pompiers. Le photographe de l’Agence France-Presse, présent sur les lieux, a shooté la scène pendant un temps relativement long, puisque les rédactions ont reçu un ensemble d’une demi-douzaine de clichés documentant aussi bien le face-à-face que la panique qui a suivi, où l’on voit, penchés au-dessus de NKM, un homme et une femme d’âge mur, puis un jeune homme portant une veste en jean, puis un pompier. Les images de la députée, gisant au sol, ont été publiées par certains médias (le Point, LCP, BFM TV, etc.) et immédiatement ventilées par les réseaux sociaux, suscitant notamment la colère de Christiane Taubira sur Twitter : «Pour sa dignité et la nôtre, pas d’images.»
«Qui veut la peau de Nathalie Kosciusko-Morizet ?»(Gala), «NKM en danger dans sa circonscription» (BFM TV), «NKM joue sa survie à la tête de la droite parisienne» (le Monde), «Attaquée de toutes parts, NKM en grande difficulté» (les Echos)… Les titres des journaux commentant la mauvaise posture de la députée dans une circonscription a priori taillée pour une victoire de la droite indique rétrospectivement le climat étrange qui règne sur la sphère de nos représentations démocratiques, NKM mobilisant elle-même des troupes d’électeurs apparemment fantômes au cri de : «Dans dix jours, ma voix peut s’éteindre.» Le corps inanimé de NKM sur une place publique est le résultat circonstanciel d’un acte délictueux perpétré par un imprudent qui ne se savait pas photographié et qui est désormais visé par une enquête pour «violences volontaires», mais c’est aussi comme l’instantané d’un malaise plus vaste, plus profond mais que l’on peine à identifier, ou attraper. La dramaturgie sans scénario ni principe des ambitions politiques, la plaque chauffée à blanc de l’«opinion», le silence presque hypnotique de gigantesques pans d’un électorat multisondé et cependant insondable en son for intérieur indifférent, la nervosité des médias chevauchés par la houle des réseaux, on a l’impression que l’intempestif à la fois lamentable et révoltant de la place Maubert, comme d’autres (mercredi, sous nos yeux interloqués un homme cassait une bouteille sur la tête d’un piéton qui l’avait bousculé en tentant de le dépasser), mérite plus et mieux que la prose des dépêches ou notre voyeurisme impénitent.
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