Certaines études montrent que la globalisation ne doit pas se penser uniquement à travers le prisme des inégalités, relate le journaliste du « Monde » Julien Bouissou dans sa chronique.
Chronique. Dans les pays émergents, les gagnants de la mondialisation ne sont pas forcément ceux que l’on imagine. Certes, les ouvriers peu qualifiés bénéficient des emplois créés par les délocalisations. Mais ces ouvriers appartiennent aussi, et surtout, à des basses castes, des ethnies, des communautés religieuses discriminées dans leur pays, des catégories ignorées en Occident, sans doute parce qu’elles ne lui sont pas familières.
En Inde, par exemple, « la libéralisation du commerce offre de nouvelles opportunités de progrès économique pour les membres de groupes ethniques historiquement discriminés » (« Attitudes Toward Globalization in Ranked Ethnic Societies », Nikhar Gaikwad et Pavithra Suryanarayan, SSRN Electronic Journal, janvier 2019). L’article de ces deux chercheurs a reçu en 2019 le prix de l’Association américaine des sciences politiques (APSA) pour ses « conclusions importantes et inhabituelles ».
On y apprend que, traditionnellement, les groupes discriminés concentrent le maximum d’emplois non qualifiés, souvent dans le secteur informel, comme le travail du cuir chez les intouchables. Lorsque ces secteurs à forte intensité de main-d’œuvre se développent grâce aux exportations, comme c’est souvent le cas dans les pays émergents, ces groupes discriminés en bénéficient. L’économie mondiale leur offre également une mobilité professionnelle, alors qu’ils sont traditionnellement cantonnés à un nombre restreint d’activités.
Il faut aller au-delà des critères habituels tels que les niveaux de revenu, de qualification ou d’éducation pour vraiment mesurer les effets de la mondialisation dans de nombreux pays émergents. Et prendre en compte la question raciale, en Afrique du Sud par exemple, ou encore celle des castes en Inde, car elles façonnent les attitudes vis-à-vis du commerce extérieur.
Ouverture
Les chercheurs constatent qu’on ne s’est jamais intéressé à ce que pensent les groupes discriminés de la mondialisation. Au pire, on a estimé qu’ils n’avaient aucun avis parce qu’ils ne sont pas éduqués. Au mieux, on a entretenu l’idée qu’ils étaient méfiants vis-à-vis de la libéralisation des échanges commerciaux, par crainte de ne plus être protégés par l’Etat. Or en analysant les résultats électoraux indiens circonscription par circonscription sur plusieurs années, les chercheurs constatent que la simple appartenance à un groupe discriminé façonne une attitude positive vis-à-vis de la mondialisation, tandis que parmi les castes supérieures ou les communautés privilégiées, les avis divergent en fonction des intérêts économiques de chacun. Les intouchables ou les musulmans en Inde font volontiers l’éloge de la mondialisation, tandis que des grands chefs d’entreprise indiens y voient parfois une nouvelle forme de « colonisation occidentale ».
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