L’économiste Joëlle Farchy estime, dans une tribune au « Monde », que les données numériques, à la fois privées et d’intérêt général, doivent être gérées sous le régime des « biens communs », défini par l’économiste américaine Elinor Ostrom.
Tribune. La question du partage des données, comme l’une des conditions du développement de l’intelligence artificielle, s’est imposée dans les agendas politiques européens comme nationaux comme dans les rendez-vous professionnels tels le Paris Open Source Summit qui a lieu cette année les 5 et 6 décembre. L’ouverture des données est identifiée comme un levier majeur de compétitivité dans la mesure où l’intelligence artificielle s’appuie sur des quantités considérables de données d’apprentissage.
Cette question s’inscrit dans un cadre juridique lancé dès 1978 qui contraint, dans un esprit de transparence, les opérateurs publics ou délégataires de service public à donner aux citoyens l’accès à des informations. Dans les années 2010, le mouvement de l’open data promeut, au-delà du simple accès, de véritables stratégies de réutilisation des données afin de proposer des services innovants. Une nouvelle notion, celle de « données d’intérêt général », introduite en 2016 dans la loi République numérique, organise l’ouverture de certaines données détenues par des opérateurs privés. Le rapport du député LREM Cédric Villani sur l’intelligence artificielle, remis en mars, promeut l’extension de cette notion.
Pour autant, on peut s’interroger sur les raisons qui, dans une économie de marché, justifient d’inciter, voire de contraindre, des opérateurs privés à partager des ressources dont on affirme par ailleurs qu’elles sont le moteur de l’économie numérique. Le droit de la concurrence, au travers du concept de facilités essentielles, impose déjà à certaines entreprises d’ouvrir à d’autres des ressources dont l’accès est indispensable à l’exercice de leur activité. Mais l’application de ce concept s’effectue dans des conditions volontairement restrictives, puisqu’il s’agit d’imposer au propriétaire de la ressource de la partager avec ses concurrents.
Au-delà, peut-on envisager la constitution d’un patrimoine commun de la donnée, et si oui dans quelles conditions ?
Les « communs », la troisième voie
L’économie de la data est en effet pleine de paradoxes. Premièrement, il n’existe actuellement pas de droits de propriété sur les données, et c’est plutôt une bonne nouvelle. Une donnée a en effet rarement une valeur économique en soi ; la valeur se crée par l’agrégation et la contextualisation de millions de données. Introduire de nouvelles enclosures sur chaque donnée irait à l’encontre de la philosophie de partage promue par ailleurs.