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Randy Weston, immense pianiste de jazz, est mort samedi 1er septembre à Brooklyn, aux États-Unis, à l’âge de 92 ans, après une vie passée à rapprocher les musiques américaines et africaines.

Le parcours légendaire de Randy Weston débute dans les pas des grands pianistes afro-américains qu’il admirait tant, Duke Ellington et Thelonious Monk. Randy Weston a même joué avec le saxophoniste de légende Coleman Hawkins. Pianiste be-bop comme tous ses confrères dans les années 1950, il laisse de cette époque quelques standards de jazz, dont "Hi Fly".

 

Randy Weston était doté d'un physique de géant - il mesurait deux mètres de haut et ses genoux ne passaient pas sous le piano, lui donnant cet air de jouer en concert sur un petit instrument d’enfant. Il jouait et improvisait avec une joie enfantine. L’énergie malicieuse qu’il dégageait en concert, que ce soit au festival de Marciac en 2010, ou encore au printemps dernier au Duc des Lombards à Paris et au festival de Nice durant l’été, était réjouissante, contagieuse.

D’autant qu’il s’associait souvent avec le contrebassiste Alex Blake, qui se lançait dans des solos avec une énergie vorace et espiègle telle qu’on jurerait qu’il allait casser ses cordes à chaque note. C’était un jazz joyeux, joueur, jamais à court d’un bon tour rythmique. Randy Weston assurait à la main gauche une ligne de basse percussive, solide comme du blues, une ligne rythmique qu’il s’amusait à brusquer, à syncoper, à suspendre, comme pouvait le faire avant lui Thelonious Monk. "Quand j’ai entendu Monk, j’ai entendu la magie de l’Afrique dans son jeu", disait-il en interview à JazzHot.

Si Randy Weston se différenciait des autres be-bopers de son époque, ce style de jazz rapide et savant qui s’était imposé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, c’est qu’il recherchait une douceur et une harmonie propre à lui, il voulait raconter une histoire. Son but était d’alléger les soucis par la musique. De faire rire aussi. Il était en cela un conteur, un guérisseur, à la façon des griots africains.

"Sans la pulsation africaine, vous n’avez rien"

Mais Randy Weston n’était pas qu’un excellent pianiste de jazz, c’était aussi un penseur de la musique,un théoricien du jazz qui a très tôt compris ce que cette musique, née aux États-Unis au tournant du XXe siècle, devait à l’Afrique. Son père tenait un restaurant, invitait de nombreux groupes de jazz, et c’est lui qui l’a poussé à étudier, à comprendre, les racines du jazz.

Dès la fin des années 1950, il s’associe avec une tromboniste, Melba Liston, une des rares femmes instrumentistes à avoir percé dans ce monde masculin du jazz. Elle a composé pour Randy Weston et signé l’arrangement de plusieurs de ses disques, notamment "Uhuru Africa" - "uhuru" signifie "liberté" en swahili. Cet album sorti en 1960 est interdit de diffusion sur les radios sud-africaines, au temps de l’Apartheid. "À l’époque, on a eu beaucoup de problèmes. On me demandait ce que je faisais avec l’Afrique", racontait-il. L’album est mal reçu, mal compris, dans une Amérique ségrégationniste, où ce qui est africain est regardé de haut, où revendiquer ses origines ancestrales est risqué.

Lui va renverser le point de vue : il démontre que le jazz n’est pas là pour ambiancer une Amérique blanche, mais qu’il raconte la grande histoire de l’Afrique. Comme Duke Ellington, Randy Weston n’aimait pas le mot jazz. Il préférait parler de "musique classique africaine-américaine". Il voyait la musique africaine comme une grande famille, dont le jazz serait l'un des membres : "Que vous l’appeliez spirituals, gospel, reggae, hip-hop, le nom que vous voulez, sans la pulsation africaine vous n’avez rien."

Randy Weston a creusé aux sources de cette africanité, en voyageant au Nigeria par deux fois au début des années 1960, en croisant dans l’album "Highlife" son savoir jazzistique avec les rythmiques d’Afrique de l’Ouest, en précurseur de fusions afro-jazz que portera Fela Kuti par la suite dans l’afro-beat. Cette quête des racines africaines se poursuit lors d’une longue tournée dans 40 pays d’Afrique en 1967, à la suite de quoi il s’installe plusieurs années au Maroc, dans la ville de Tanger. C’est là qu’il tombe en extase pour la musique gnawa, cette musique soufie issue de l’esclavage noir au Maroc, et dont les descendants sont établis à Essaouira et à Marrakech.

Les années 1980 l’amènent à connaître un regain d’intérêt en Europe et sur les scènes de jazz françaises. Il écrit un livre intitulé "African Rythms", publié aux éditions Présence Africaine, et continue d’enregistrer. On compte parmi ses plus beaux albums le coffret "The Spirit of our Ancestors". En 2016, il se lance dans un projet très ambitieux pour grand orchestre, "African Nubian Suite", la Suite nubienne, du nom de cette région du Nil située en Haute-Égypte et au Nord-Soudan, où avait prospéré une des premières civilisations de l’humanité. Randy Weston aimait dire qu’il était membre de la grande "famille royale" des musiciens, porteur de sons reliés aux étoiles et à la nature, et citait souvent un maître soufi qui dit que "la musique précède tout".

C’est en vieux sage d’une musique centenaire qu’il avait été invité par le musée Quai Branly, lors des festivités qui marquaient en 2009 l’anniversaire des 100 ans de la musique jazz. Le blues gnawa, les rythmiques afro-cubaines, les standards fondateurs signés Duke Ellington et Count Basie, Nat King Cole, Art Tatum et Thelonious Monk… toute la tradition du jazz coulait sous les doigts de ce magicien du piano.


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