Tous les Croates ne se réjouissent pas de l'épopée victorieuse de leur équipe nationale, qualifiée pour la finale de la Coupe du monde. Certains voient d'un mauvais œil les scandales de corruption qui minent la fédération.
"C'est tellement beau ! C'est le miracle de tous les miracles ! La Croatie est en finale de la Coupe du monde !", s'est écrié le commentateur de la télévision d'État, Drago Cosic, à la fin du match, mercredi 11 juillet. "Bravo ! Tout le monde devrait se réjouir (...), les 'Flamboyants' de Dalic décrochent le plus grand succès de l'histoire du football croate", commentait le quotidien Sportske Novosti sur son site Internet après la qualification de l'équipe croate pour la finale du Mondial-2018 (2-1 face à l'Angleterre).
Dans ce pays de 4,1 millions d'habitants, "la ferveur est monstrueuse jusque sur la côte dalmate [sud du pays, NDLR]", confirme Alban Traquet, grand reporter à L'Équipe et spécialiste des Balkans, à France 24, "au point de faire oublier l'important scandale de corruption qui entache le football croate". Avant d'ajouter : "Mais il reste malgré tout en toile de fond".
En effet, de nombreux supporters nourrissent une certaine aversion envers l'équipe croate, mais aussi, et surtout, envers le très controversé Zdravko Mamic, ancien président du Dinamo Zagreb et agent de plusieurs joueurs de la sélection. Considéré depuis des années comme le véritable patron du football croate, il a été reconnu coupable de détournement de fonds lors de transferts de joueurs, notamment celui de l’incontournable capitaine de l’équipe, Luka Modric, transféré vers le club britannique de Tottenham en 2008, et celui du défenseur Dejan Lovren, recruté par l’Olympique lyonnais en 2010.
Faux témoignage
Si le parrain du foot croate, condamné en juin dernier à six ans et demi de prison, s'est réfugié en Bosnie-Herzégovine juste avant le verdict pour éviter la prison, les critiques s'adressent aussi à Luka Modric, inculpé en mars dernier pour avoir livré un faux témoignage lors du procès de son ami Zdravko Mamic. Ces démêlés avec la justice ont coûté au joueur du Real Madrid la confiance d'une partie des supporters. "Luka, tu te souviendras de ce jour", a notamment été tagué sur l'entrée de l'hôtel de Zadar, sur la côte, où sa famille avait vécu pendant la guerre, selon le site spécialisé dans le football d'Europe de l'Est, Footballski.fr.
Au début du Mondial, ces affaires judiciaires ont rejailli lors de conférences de presse. Le 11 juin 2018, deux joueurs, Andrej Kramaric et Josip Pivaric, étaient interrogés sur l'impact de l'affaire Mamic sur leur capitaine, jetant un froid métallique dans la pièce. Le responsable de la communication de la sélection, Tomislav Pacak, a mis fin au malaise en n'acceptant plus que les questions sur la Coupe du monde.
Au fil des matchs, la réussite de l’équipe aux damiers face au Danemark, à la Russie puis à l'Angleterre, mais aussi l'intelligence de jeu du capitaine de presque 33 ans, n’ont pas suffi à hisser les joueurs au rang de héros de cette jeune nation. Ils ont au contraire continué à être détestés par une partie des amateurs. "Il faut distinguer les fans de foot qui n'aiment ni les joueurs, ni la fédération et ni l'équipe nationale et qui sont minoritaires par rapport aux fans ordinaires qui sont majoritaires", souligne Dario Brentin, chercheur en sport et politique dans les Balkans à l'université de technologie de Graz, en Autriche.
"Beaucoup de fans craignent que le succès de la 'Valtrani'"
Selon lui, "beaucoup de fans craignent que le succès de la 'Valtrani' au Mondial puisse compromettre leur lutte pour un football plus démocratique", tout en rappelant que "pour beaucoup de fans 'ordinaires', cela ne joue qu'un rôle secondaire".
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Seul joueur de la sélection croate 2018 à avoir ouvertement dénoncé la corruption de Mamic : Andrej Kramaric. Ce dernier a refusé de signer un contrat avec Mamic qui aurait lié ses gains futurs au président du club. Après avoir ouvertement dénoncé ces délits en 2013, il fut ostracisé au sein du Dinamo. Ayant évolué alors dans les clubs européens, il s'est maintenant établi comme l'un des joueurs clés de la Croatie.
Crise du culte de l'équipe nationale
Le "culte de l'équipe nationale" a vécu une crise sérieuse ces dernières années. Mécontents de la façon dont le football a été "privatisé" et exploité, de nombreux supporters de football (particulièrement organisés) ont commencé à se rebeller ouvertement contre la fédération et l’équipe nationale.
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À titre d’exemple, des violences ont éclaté du côté des supporters croates lors de l'Euro en France en 2016 "pour manifester leur colère envers Mamic”, rappelle Alban Traquet.
Par ailleurs, les fans déplorent le lien trop étroit qui unit le football à la politique. Lors du match face à la Russie, le 9 juillet, la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic s'est affichée aux côtés de Damir Vrbanovic, l'ancien dirigeant du Dinamo Zagreb et actuel directeur général de la fédération de football croate alors qu’il a été condamné à trois ans de prison dans une affaire de corruption. Elle a également dû reconnaître que Mamic avait organisé plusieurs dîners en sa faveur et soutenu sa campagne présidentielle.
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Cette accointance entre foot et politique n'est pas nouvelle en Croatie. Le premier président du pays, Franjo Tudjman, s'était fortement appuyé sur la discipline pour créer un sentiment d'identité dans les années 1990 : "Après la guerre, le sport est la première chose par laquelle les nations peuvent se distinguer". Lors du Mondial-1998, la qualification pour les demi-finales contre la France avait permis à la jeune nation croate de se faire un nom au niveau mondial.
Toujours est-il que ce mélange des genres déplaît à une partie des Croates. Luka Modric peut-il sortir la tête haute de ce Mondial ? Même en cas de victoire, le joueur aux 111 sélections risque jusqu'à cinq ans de prison. La décision de la justice est attendue pour septembre.