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Manger plus sain : PLAN’EAT Kids, un labo vivant pour changer les habitudes alimentaires des enfants
Anthony Fardet, Inrae; Claire Planchat, Inrae et Edmond Rock, InraeAujourd’hui, notamment dans les pays occidentaux, les comportements alimentaires tendent à s’uniformiser autour de régimes qui ne sont ni sains ni durables, car globalement trop riches en produits animaux comme la viande et en aliments ultra-transformés. Les 6-15 ans sont très ciblés par le marketing de ces aliments ultra-transformés, au point d’en consommer près de 50 %/jour en termes de calories, alors que les adultes en consomment 34 %.
C’est durant l’enfance que les goûts se forment. Modifier les habitudes des plus jeunes est donc un enjeu important, ce qui implique d’identifier les leviers, verrous et pistes d’action à trois niveaux : le niveau individuel (goûts, traditions…), l’environnement alimentaire proche (restauration collective, choix des parents, publicités, implantation des fast foods autour des écoles…) et le niveau macro (politiques de santé publique, systèmes alimentaires, chaînes d’approvisionnement…).
La tâche est considérable car elle demande un effort concerté de nombreuses parties prenantes aux intérêts souvent divergents. C’est ce qui pourrait expliquer en partie l’absence d’effets tangibles sur le terrain avec la croissance ininterrompue des risques d’obésité et de diabète de type 2 dans le monde, jeunes et adultes confondus.
Pour amorcer un changement durable et favoriser des impacts concrets, le projet européen PLAN’EAT cible différentes populations à risque pour des raisons financières, de santé ou de manque de connaissances, les poussant malgré elles à manger moins sain et durable – familles monoparentales, étudiants, personnes âgées, malades chroniques, jeunes enfants et adolescents…
Considérer l’alimentation dans ses dimensions scientifiques et sociales
PLAN’EAT est un projet de recherche participative basé sur neuf laboratoires vivants situés dans neuf pays européens, dont PLAN’EAT Kids pour la France et un laboratoire politique à Bruxelles visant à faire le lien entre les résultats de recherche et les élus européens (Figure 1). Ce projet a pour ambition d’inciter ces consommateurs à réaliser une transition vers des habitudes alimentaires plus saines et durables d’ici 2050.
Mais qu’entend-on par « laboratoire vivant » ? Comme le décrit le Réseau européen des living labs (ENoLL), il s’agit d’« environnements de tests et d’expérimentations en situation réelle qui favorisent la co-création et l’innovation ouverte », en s’appuyant sur un centre de ressources et des recherches et expertises pluridisciplinaires.
En partenariat avec le Projet alimentaire territorial (PAT) du Grand Clermont/Parc naturel régional Livradois-Forez, PLAN’EAT Kids cible le comportement alimentaire d’environ 250 enfants de 6 à 15 ans dans neuf établissements scolaires. Dans ce contexte de recherche-action et de recherche participative, le projet rassemble un collectif de plus de 100 partenaires – chercheurs, élus, professionnels de santé et de l’éducation, acteurs de la chaîne agro-alimentaire (producteurs, transformateurs, distributeurs, restaurants et services alimentaires…), ainsi que des citoyens et des associations (cf. Figure 2).
En outre, PLAN’EAT Kids propose de se pencher avec les acteurs du projet alimentaire territorial sur les dimensions scientifiques et sociales de l’alimentation des enfants. C’est en ce sens que cette recherche-action se dit holistique car elle ne prend pas seulement en compte les enjeux de nutrition de l’enfant, mais aussi le territoire (en lien avec les transitions écologiques), la famille, la culture dans lesquels il vit, ainsi que ses choix de consommation lorsqu’il est à la cantine, au restaurant ou à la maison.
Une telle recherche-action est confrontée à de nombreux obstacles. Parmi les principaux, citons la difficulté à maintenir la motivation des parties prenantes sur plusieurs années et à diverses échelles d’engagement, à coconstruire avec des intérêts divergents ainsi qu’à pérenniser la structure et le réseau des partenaires au-delà du financement européen.
Premiers résultats en milieu scolaire
Au-delà de la création du living lab PLAN’EAT kids, continuellement en évolution depuis un an, des résultats ont été obtenus à partir des premières actions de recherche participative menées.
Premièrement, nous avons étudié la place du diététicien en milieu scolaire et avons conclu que la présence d’un diététicien à temps plein était importante non seulement pour réaliser des menus équilibrés, mais aussi pour servir de lien entre différentes parties prenantes de l’écosystème scolaire (cf. Figure 3).
Une première estimation quantitative montre qu’avec environ 30 100 écoles élémentaires et 6 950 collèges en France, nous aurions besoin de 7 410 diététiciens (environ un diététicien pour 5 écoles) pour un coût annuel d’environ 145 millions d’euros par an (coûts salariaux à l’embauche). Ce coût serait largement compensé à long terme par les économies réalisées, notamment sur les coûts cachés de santé et environnementaux, estimés globalement à 177 Mds € pour la France.
Deuxièmement, en utilisant la méthode du photolangage et des focus groups auprès des enfants, combinée à une enquête auprès des parents (NEMS-P survey), nous avons observé que les jeunes choisissaient leurs aliments prioritairement en lien avec leurs émotions, puis pour les 6-8 ans, selon leur environnement alimentaire domestique, et, pour les 11-15 ans, en corrélation avec les notions de durabilité, plus spécifiquement sur les questions de gaspillage, pollutions plastiques et produits locaux.
Enfin, l’observation dans les écoles des goûters montre que la plupart sont des aliments ultra-transformés et que les enfants n’identifient pas l’aliment en tant que tel, mais plutôt la marque et la forme de l’emballage. En d’autres termes, l’aliment « doudou » ou « réconfort » est un fort marqueur de l’alimentation à cet âge.
« Vrai, Végétal, Varié » : la règle des 3V dans l’alimentation
Suite à des enquêtes alimentaires (Nutritional Environment Measures Survey, Nems-P) réalisées dans chaque living lab européen, complétées par des interviews d’experts et par l’attribution de notes techniques pour estimer les impacts sur la santé et l’environnement, cinq comportements alimentaires à fort impact de changement ont été identifiés parmi 75 comportements regroupés en 12 catégories en amont. Ce sont les comportements reconnus pour chaque living lab qui présentent un potentiel significatif de changement, acceptable pour les groupes cibles et tenant compte des impacts environnementaux, sociaux et sanitaires.
Pour PLAN’EAT Kids et les enfants de 6-15 ans, il s’agit de :
limiter la consommation d’aliments ultra-transformés, notamment additionnés de trop de sel, de sucres, de graisses, d’arômes et/ou d’additifs cosmétiques ;
réduire l’ensemble des aliments d’origine animale, notamment la viande ;
accepter une variété d’aliments/légumineuses, de préférence locaux et/ou de saison ;
choisir principalement des produits céréaliers complets (plutôt que des produits raffinés) ;
choisir de boire de l’eau plutôt que des boissons sucrées.
Ils ont notamment aussi été sélectionnés pour leur plasticité et/ou leur faisabilité. La « plasticité » correspond à la probabilité que notre groupe cible adopte ce comportement tandis que la « faisabilité » correspond à la probabilité que les parties prenantes concernées (les adultes) soutiennent les enfants à adopter ces comportements.
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Les trois premiers comportements renvoient à la règle des 3V développée dans notre laboratoire en 2016, à savoir Vrai, Végétal, Varié. L’enjeu, dans les années à venir, sera donc de travailler autour de ces cinq comportements avec les parties prenantes du système alimentaire et les enfants pour aboutir à des innovations et solutions pour les faire évoluer dans le bon sens.
Pour cela, malgré des intérêts divergents, une des questions centrales du living lab Plan’eat kids est : comment trouver le plus petit dénominateur commun entre tous les acteurs afin de changer le réel durablement ? Aussi, on comprendra que l’animation et la coordination d’un living lab demande de faire appel à des dimensions autres que scientifiques, à savoir sociales, humaines, de communication, et que l’on n’apprend pas forcément sur les bancs des écoles d’ingénieurs ou d’université.
Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Anthony Fardet, Chargé de recherche, UMR 1019 - Unité de Nutrition humaine,?Université de Clermont-Auvergne, Inrae; Claire Planchat, Socio-géographe, chargée de recherche, Inrae et Edmond Rock, Directeur de recherche, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.