Tout a commencé le 22 mars dans un amphithéâtre de Nanterre. Il y a un demi-siècle, la création d'un collectif de jeunes libertaires, en réaction à l'arrestation de six manifestants contre la guerre du Vietnam, embrase la révolte étudiante, et marque le point de départ d'un mouvement de contestation d'ampleur qui devait culminer en mai 1968. Cinquante ans plus tard, Daniel Cohn-Bendit, principal leader soixante-huitard, avoue ne plus vraiment avoir envie d'évoquer cette période, complètement révolue selon lui. Et fatigué, peut-être aussi, d'en avoir tant fait le récit. "J'ai accepté de parler à Europe 1, c'est le seul lieu, mais j'essaye vraiment de passer entre les gouttes", explique-t-il à l'occasion de cet anniversaire.
"La fin du monde… il y a cinquante ans !". Déjà en 2008, "Dany le rouge" publiait Forget 68, une manière d'enfouir le passé sous les pavés. "Ce sont des débats qui me font sourire. Je trouve ça extraordinaire que la droite : Valeurs actuelles, Figaro magazine... ça les prend encore à la gorge. Vous vous rendez compte, dire que c'est la fin du monde… il y a cinquante ans !", sourit-il. "D'un autre côté, il y a tous ceux qui disent que 1968 c'était la répétition générale […], la veille du grand soir. Ça fait cinquante ans qu'ils attendent", pointe-il.
Une parenthèse historique. "Il faut arrêter de considérer que tout ce qui se passe en France, cinquante ans après, est une conséquence de mai 1968", abonde Patrick Rotman, journaliste, auteur de Mai 68 : le grand soir. "Regarder le monde et la société d'aujourd'hui avec les lunettes de 1968, c'est aller à la cécité totale", souligne-t-il. Pour ce spécialiste, les événements de mai 1968 doivent être replacés dans un contexte beaucoup plus large, celui d'une révolte de la jeunesse dans de nombreux pays, et notamment aux Etats-Unis.
Le pouvoir ébranlé. Pour Daniel Cohn-Bendit, la spécificité de la contestation française tient toutefois au soutien des milieux ouvriers, avec "une grève générale qui a complètement amplifié le mouvement, et fait vaciller le pouvoir. Quand vous avez un président qui se taille on ne sait pas où, pour aller se cacher dans un autre pays, à Baden-Baden, on a quand même une crise qui n'a pas existé dans un autre pays !". Très vite, l'Hexagone se retrouve complètement paralysé. "C'est la plus grande grève de l'histoire des grèves. […] Il n'y a pas eu d'équivalent dans l'histoire des mouvements ouvriers", assure l'ancien écologiste.
Des contradictions et des égarements. Mais avec le recul, Daniel Cohn-Bendit ne manque pas de pointer les contradictions des soixante-huitards, notamment lorsqu'il s'amuse de l'un de leurs plus célèbres slogans : "S'il est interdit d'interdire, il est interdit d'interdire d'interdire… tout est possible. La pensée est en perpétuel mouvement", relève-t-il. "Des fois, c'était assez loufoque ce que les uns et les autres pouvaient avancer", reconnaît-il. Il évoque ainsi le surnom dont avait été affublé Pierre Grappin, doyen de l'université de Nanterre, traité par des étudiants de SS "alors qu'il était résistant".
D'autres formules encore l'ont marqué, au cœur cette fois. "J'ai été l'objet de l'un des plus beaux slogans : 'Nous sommes tous des Juifs allemands'", se souvient-il, non sans émotion. À l'époque, la formule fleurit dans les manifestations après que l'hebdomadaire d'extrême-droite Minute a accusé le leader de se prendre pour Karl Marx, précisément "parce qu'il est juif et allemand". "C'est le plus beau slogan du cosmopolitisme", assure Daniel Cohn-Bendit.