Lutte contre les moustiques : robot sexeur et insecte stérile, une méthode prometteuse
Les moustiques posent de gros problèmes de santé publique par les maladies qu’ils transmettent et la nuisance causée par leur piqûre, en particulier pendant la période estivale. Cette année, l’organisation des JO coïncide avec une épidémie mondiale de dengue sans précédent et l’invasion récente de la région parisienne par le moustique tigre fait craindre le risque d’une épidémie olympique à Paris. L’Institut Pasteur a en effet démontré que le moustique tigre, implanté en Ile-de-France, est capable de transmettre 5 virus (West Nile, chikungunya, Usutu, Zika et dengue). Donc si des visiteurs arrivent en portant l’un de ces virus, il pourrait circuler.
Alors que les méthodes basées sur les insecticides s’essoufflent en raison de l’apparition de plus en plus importante de résistances contre ces derniers et leur impact négatif sur l’environnement et la santé humaine, l’essor des méthodes de lutte génétique comme la technique de l’insecte stérile, basée sur le lâcher de mâles stériles, pourraient permettre de les gérer plus efficacement et écologiquement.
Le lâcher de mâles stériles ne présente aucun risque puisque chez les moustiques, seules les femelles piquent, car elles ont besoin de sang pour assurer la maturation des œufs, le mâle est lui, utile pour la reproduction et l’idée de lâcher des insectes stériles est de concurrencer les mâles sauvages pour limiter la fertilité des femelles et donc la population totale.
L’isolement des mâles des femelles avant le lâcher est cependant un goulot d’étranglement technique important, qui vient d’être dépassé par un robot trieur de sexe à l’efficacité inédite : 17 fois supérieure à celle d’un opérateur humain.
Les moustiques, un problème majeur de santé publique
Les maladies vectorielles transmises par les moustiques représentent plus de 17 % des cas de maladies infectieuses, avec 700 000 morts chaque année en moyenne.
La principale est le paludisme, transmis par des moustiques de la famille des anophèles principalement en Afrique, suivie par les arboviroses transmises par les moustiques du genre Aedes, notamment la dengue, le Chikungunya et le Zika.
Cette année est une année record de transmission de la dengue à l’échelle mondiale, avec déjà plus de 7,6 millions de cas reportés à l’Organisation mondiale de la Santé. La France métropolitaine n’est pas épargnée, avec un record de 2 166 cas de dengue importés à ce jour, correspondant à des personnes ayant été infectées en dehors de l’hexagone, notamment dans les DOMs.
En raison de l’invasion de plus de 80 % du territoire métropolitain par le moustique tigre, Aedes albopictus, la transmission locale de ces virus est possible, et un cas de dengue autochtone a déjà été enregistré à Montpellier en juin cette année, un autre de Chikungunya à Paris en juillet.
Lâcher des mâles stériles pour réduire les populations
Alors que ces insectes sont encore majoritairement contrôlés par les insecticides, l’Organisation mondiale de la Santé recommande le développement de techniques de lutte alternatives, en particulier des méthodes de lutte génétique, parmi lesquelles la Technique de l’Insecte Stérile (TIS) qui a le vent en poupe. Cette dernière est basée sur le lâcher de mâles stériles irradiés qui, en s’accouplant avec les femelles sauvages, les stérilisent. Si les lâchés de mâles stériles sont répétés suffisamment longtemps, la population cible est réduite voir éliminée.
Les mâles sont irradiés sous forme de pupes ou d’adultes dans un irradiateur à rayons X ou à rayons gamma, comme ceux utilisés pour irradier le sang transfusé. À la fin de leur période larvaire, les larves de moustiques se transforment en pupes, stade similaire aux chrysalides chez les papillons, où ces insectes se métamorphosent en adultes. Chaque mâle porte alors de nombreuses mutations aléatoires létales dans ses spermatozoïdes, qui empêcheront les œufs inséminés par ces derniers d’éclore. Une alternative proche, la Technique de l’Insecte Incompatible (TII), consiste à utiliser la stérilité conditionnelle conférée par une souche de bactéries Wolbachia incompatible avec la population cible. Cette souche produit en effet une toxine dans le sperme des mâles de la souche contaminée, dont seules les femelles porteuses de la même souche de Wolbachia possèdent l’anti-toxine. Les œufs des autres femelles n’écloront pas. Ces deux techniques sont en plein essor et peuvent être combinées, comme à Singapour, où elles ont permis de réduire la transmission de la dengue de plus de 77 %.
Ces méthodes nécessitent de produire en masse et de lâcher des millions de moustiques mâles. Trier ces mâles des femelles était jusqu’à présent une grosse limite à leur montée en puissance…
Un robot sexeur qui tombe à pic…
Dans ce contexte, un robot innovant proposé par l’entreprise chinoise Wolbaki vient changer la donne… Dans un travail récent conduit en Autriche et en Chine, nous montrons en effet que ce robot permet de trier jusqu’à 16 millions de mâles par semaine et par personne ! Ce travail vient d’être publié dans la revue prestigieuse Science Robotics, où avait déjà été publié la résolution d’un autre goulot d’étranglement en 2020, celui des lâchers de mâles stériles par drone. En effet, les mâles de moustiques se dispersant peu, il est nécessaire de les lâcher par voie aérienne pour obtenir un ratio homogène de mâles stériles par mâle sauvage, permettant d’optimiser la technique.
La résolution de ces problèmes techniques va permettre à plus de trente pays en train de tester la méthode de l’insecte stérile de monter en puissance afin de couvrir des zones plus importantes. Ce robot trie les pupes de moustiques par taille, les mâles étant plus petits que les femelles, grâce à deux vitres séparées par un angle. Leur écart, de plus en plus étroit de haut en bas, va séparer les pupes plus petites (mâles), qui formeront une ligne en bas de la vitre, des plus grosses (femelles), qui formeront une ligne en haut de la vitre. Les vitres n’impactent pas la qualité des mâles stériles, car elles ont l’avantage de minimiser les frottements subis par les pupes par rapport à d’autres méthodes comme les tamis. Lors du premier tri, un opérateur humain calibre un premier robot lui permettant de s’adapter aux différentes espèces et souches de moustiques et aux conditions d’élevage de masse qui ont toutes un impact sur le dimorphisme sexuel des pupes. Le Robot communique alors sa calibration aux autres unités, permettant d’atteindre une production quasi-illimitée.
Déjà, l’Italie, le Mexique et les États-Unis ont acquis ce robot, qui peut aussi être utilisé pour d’autres méthodes de lutte génétique comme le remplacement par des moustiques infectés par la bactérie Wolbachia, mené par la World Mosquito Programme.
La France n’est pas en reste puisque je suis en train d’acquérir ce robot dans le cadre du projet OPTIS à l’île de la Réunion. En effet, cette île magnifique est également envahie par le moustique tigre. Après les fameuses épidémies de Chikungunya en 2005 et 2006, celui-ci a entrainé de grosses épidémies de dengue en 2020-2021 et la dengue y est devenue endémique. Le projet OPTIS, dans le cadre duquel nous sommes en train de démontrer la capacité de la TIS à bloquer la dengue avant de l’opérationnaliser. Ce projet, mis en œuvre par le CIRAD et l’IRD, vise à tester une variante de la TIS appelée TIS renforcée. Dans cette variante que j’ai proposée en 2014, les mâles stériles sont imprégnés d’un biocide avant d’être lâchés. Ils vont ainsi transmettre spécifiquement ce biocide aux femelles et aux gîtes larvaires de leur espèce, permettant d’augmenter jusqu’à 10 fois l’efficacité de la TIS tout en utilisant une quantité minime de biocides.
Bouyer Jérémy, Directeur de Recherche en Ecologie et Contrôle des Insectes Vecteurs, Cirad
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.