Le bras de fer entre l'Arabie saoudite et l'Iran via Saad Hariri, le Premier ministre libanais, n'est manifestement pas terminé. Le 11 novembre, à Beyrouth, le président de la République, Michel Aoun, confiait à des ambassadeurs que son chef du gouvernement était retenu à Riyad et qu'il aurait même été « enlevé ». Le 12 au soir, Saad Hariri, invisible depuis une semaine et l'annonce surprise de sa démission faite de la capitale saoudienne, réapparaissait dans une interview télévisée donnée, à Riyad, à la chaîne de son parti. « Je rentrerai prochainement et remettrai ma démission au président de la République », assurait-il. Le verbe hésitant, la lassitude du regard laissaient les Libanais perplexes. Ils ne reconnaissaient guère leur chef de gouvernement habituellement souriant et détendu. « J'ai démissionné pour provoquer un choc dans le pays et convaincre des dangers que court le Liban devant les ingérences de l'Iran et du Hezbollah dans les affaires arabes. » L'imbroglio libanais s'épaissit. Retour sur une semaine peu ordinaire.
Tout commence le 2 novembre lorsque Saad Hariri reçoit un appel téléphonique du protocole saoudien lui demandant de se rendre à Riyad. Rien de très surprenant dans cette demande. Les liens entre le chef de la communauté sunnite du Liban et l'Arabie saoudite sont étroits. Riyad soutient financièrement le Liban et en particulier le Courant du futur, le parti de Hariri. La famille Hariri, en particulier l'ex-Premier ministre libanais Rafik Hariri, le père de Saad, assassiné à Beyrouth en 2005, a fait fortune dans le royaume à la tête d'une entreprise de BTP. Aujourd'hui, les affaires sont moins florissantes depuis la chute des cours du pétrole et l'entreprise Saudi Oger, que Saad Hariri, qui dispose de la nationalité saoudienne, continue à diriger, est au bord de la banqueroute. Un bon moyen de pression pour Riyad.
Un discours préparé
C'est en arrivant dans la capitale saoudienne, le 3 novembre, que le chef du gouvernement libanais comprend que la situation est anormale. Aucun officiel ne l'accueille au bas de l'échelle de son avion. On ne l'emmène pas dans sa résidence privée où l'attend une partie de sa famille, mais au Ritz-Carlton, un hôtel de luxe où sont regroupés les VIP saoudiens (y compris le prince Walid ben Talal), retenus dans le cadre d'une grande enquête sur la corruption. Il y a là des princes, des ministres et des ex-ministres, des hommes d'affaires multimilliardaires, bref, deux cents personnes du gotha saoudien. Une purge qui ne manque pas de sel dans ce royaume où tous vivent généreusement de l'argent de l'État tiré du pétrole. Saad Hariri se voit privé de ses téléphones alors qu'on lui propose un marché : « Tu démissionnes ou tu restes là avec les autres. »
Le lendemain, 4 novembre, on lui propose par téléphone un entretien avec le prince héritier, Mohammed ben Salmane, 34 ans, surnommé « MBS ». Saad Hariri est traité sans égards. Il doit attendre quatre heures l'arrivée du nouvel homme fort du royaume. Celui-ci ne lui laisse guère le choix, lui remettant le discours de sa démission qu'il doit lire sur la chaîne saoudienne Al-Arabiya. Saad Hariri, le visage défait, s'exécute. Le texte qu'il lit est une charge violente contre le Hezbollah et l'Iran. Les Libanais ne reconnaissent pas le ton habituellement employé par leur Premier ministre vis-à-vis du Hezbollah, qui dispose de ministres dans le gouvernement de coalition et de députés au Parlement libanais.
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