Mise en service fin mars 2017 en France, la nouvelle formule du Levothyrox, médicament utilisé dans le traitement de la thyroïde, est à l'origine d'une crise sanitaire. De nombreux patients se plaignent de divers symptômes (crampes, maux de tête, vertiges, perte de cheveux... ) et réclament le retour à l'ancienne formule. Le 11 septembre 2017, la ministre de la santé Agnès Buzyn faisait état de 9.000 signalements d'effets indésirables liés à ce médicament. Mais le laboratoire Merck, qui commercialise le Levothyrox et qui a changé la formule à la demande de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ne compte pas revenir en arrière. Et l'ANSM l'assure : les changements effectués - à savoir la stabilisation de la concentration de la lévothyroxine (principe actif) et le remplacement de l'excipient lactose par le mannitol - ne modifient pas le traitement en lui-même : "la nouvelle formule a été démontrée bioéquivalente à l'ancienne". Une affirmation qui repose sur "la base de deux études de pharmacocinétique". Mais pour le médecin et blogueur Dominique Dupagne, qui est parvenu à se procurer les études en question et les a longuement analysées avec l'aide d'un pharmacologue, la bioéquivalence n'est en rien démontrée.
Des moyennes qui ne reflètent pas les variations chez un seul patient
Les études, dites de "bioéquivalence", servent à vérifier que l'effet biologique de la nouvelle formule n'est pas significativement différente de l'original. "Ce nom est un peu trompeur, car ce qui est vérifié, ce sont les caractéristiques de l'absorption du principe actif et non son effet sur l'organisme, explique Dominique Dupagne. L'affirmation d'une bioéquivalence repose donc sur un postulat : si la diffusion dans le sang du principe actif est à peu près identique à celle de l'original, l'effet biologique sur l'individu le sera lui aussi." Concrètement, 200 volontaires en bonne santé sont recrutés : la moitié avale une dose unique de l'ancienne formule de Levothyrox, le reste la nouvelle formule. La concentration sanguine en lévothyroxine de chaque groupe est suivie pendant les 72 heures après la prise. Une fois le produit éliminé, ce qui prend plusieurs semaines, on recommence en inversant les groupes. Chaque sujet reçoit donc alternativement les deux médicaments, l'ancien et le nouveau.
Résultat mis en avant dans l'étude : "la moyenne de l'absorption du nouveau Levothyrox chez les 200 sujets ne diffère que de 0,7% d'avec l'ancien médicament", ce qui convient aux exigences de l'ANSM. Mais le problème des moyennes, c'est qu'elles ne reflètent pas les variations intra-individuelles, c'est-à-dire celles que subit un seul individu quand il passe d'une formule de Levothyrox à une autre. Des variations que l'on retrouve pour tous les médicaments. "Nous sommes tous biologiquement différents, les effets positifs ou négatifs peuvent varier de façon importante d'une personne à l'autre", résume Dominique Dupagne. Or selon l'étude, plus d'un tiers des sujets soumis au nouveau Levothyrox ont vu la quantité de lévothyroxine absorbée utilement par leur organisme varier de 23,7% en plus ou en moins ! "Nous sommes loin d'une variation de 0,7% mise en avant par l'Agence et qui ne concerne que la moyenne des mesures", tranche le médecin.