La température de surface lors de la vague de chaleur de fin juillet 2019 sur l’Europe de l’Ouest. Données (Copernicus Sentinel, 2019), processé par l'ESA, CC BY-SA
Les risques de températures extrêmes en Europe de l’Ouest sont sous-estimés
Robin Noyelle, Université Paris-Saclay; Davide Faranda, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Yi Zhang, University of California, BerkeleyLe 25 juillet 2019, la station météo centenaire de Paris Montsouris a battu son record datant de 1947 en enregistrant une température de 42,6 °C. De son côté, la station de la petite ville de Lytton dans l’ouest canadien a enregistré une température record de 49,6 °C le 30 juin 2021. Dans les deux cas, les précédents records de températures locaux ont été largement battus, respectivement de 2 et 5 °C, ce qui aurait été très improbable sans changement climatique d’origine humaine.
Atteindre des températures aussi élevées a des conséquences importantes sur les êtres vivants — sur les humains notamment. Par exemple, les plantes, dont les cultures, peuvent se déshydrater très rapidement, produisant des conditions favorables à des incendies. Les infrastructures, rails ou bâtiments, sont aussi touchées car elles ne sont pas toujours conçues pour résister à ces températures.
Une méthode classique pour estimer les risques d’occurrence de températures très intenses est statistique. Elle repose sur la « théorie des valeurs extrêmes » qui permet d’estimer une température maximale atteignable à partir de données de température passées, et donc de définir un « worst-case scenario » auquel se préparer. Les scénarios du pire actuellement utilisés sont souvent basés sur cette méthode statistique, qui prend mal en compte les mécanismes physiques des vagues de chaleur.
Une autre façon d’aborder le problème des températures extrêmes est de considérer les mécanismes physiques atmosphériques qui empêchent cette température d’augmenter indéfiniment. Dans une étude parue récemment dans Environmental Research Letters, nous montrons ainsi qu’il n’est pas possible d’écarter la possibilité d’atteindre les 50 °C à Paris – y compris à l’heure actuelle – et que les estimations statistiques des valeurs maximales sont probablement sous-estimées de plusieurs degrés en Europe de l’Ouest.
Comment évalue-t-on les températures maximales atteignables ?
La vague de chaleur canadienne de 2021 était tellement intense que les températures qui ont été atteintes étaient jugées impossibles par les méthodes statistiques.
Suite à ces observations, la communauté des sciences du climat a commencé à donner plus de crédit à ses simulations informatiques qui montraient bien que de tels événements très intenses étaient possibles, mais qui avaient été jugées peu réalistes jusqu’alors, voire comme des artefacts des modèles de climat. Ainsi, après l’événement canadien, plusieurs études ont notamment montré que des événements aussi intenses étaient pourtant simulés correctement par les modèles, ce qui est en un sens rassurant quant à notre compréhension du système climatique.
Mais pour évaluer les températures maximales atteignables et préparer nos sociétés à ces extrêmes, il reste que l’application simpliste de la « théorie des valeurs extrêmes » est mise en défaut.
Récemment, une nouvelle théorie, basée sur la physique cette fois, a été proposée pour estimer les températures maximales théoriques atteignables à nos latitudes. Dans notre étude, nous l’utilisons pour montrer que des bornes maximales supérieures de 5 à 10 °C aux estimations statistiques traditionnelles du worst case scenario pour les grandes villes européennes étudiées sont possibles.
Par exemple, la méthode statistique traditionnelle donne une température maximale pour Paris de 40,8 °C, qui a été dépassée pendant l’événement de 2019 (42,6 °C), tandis que notre estimation donne 46,6 °C. Rappelons que nous parlons ici des températures mesurées à 2 mètres du sol, à l’ombre, sous abri et selon un protocole météorologique précis. Localement les températures peuvent être plus — ou moins — fortes.
Les ingrédients indispensables pour générer des vagues de chaleur
Pour générer une vague de chaleur très intense, il faut principalement deux éléments. Le premier est un printemps ou début d’été peu pluvieux qui rend les sols anormalement secs.
Le deuxième est une bulle de haute pression centrée sur la région de la vague de chaleur. Ces hautes pressions dévient vers le Nord les perturbations qui traversent l’Atlantique et nous amènent habituellement de la fraîcheur et de l’humidité océaniques : on parle d’« anticyclone de blocage », habituellement associé à un ciel ensoleillé et sans nuage.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
La combinaison de sols secs et de l’absence de nuages implique que l’énergie reçue du soleil atteint directement le sol. Cette énergie est ensuite transférée : soit pour faire évaporer de l’eau (majoritairement par la transpiration des plantes), ce qui fait diminuer localement la température ; soit pour réchauffer les basses couches de l’atmosphère (inférieures à 1500 mètres d’altitude).
Ainsi, quand les sols sont déjà très secs, la majorité de l’énergie reçue du soleil est utilisée pour augmenter la température de l’air proche du sol.
L’humidité du sol limite l’augmentation des températures
Une particule d’air très chaud est moins dense qu’une particule d’air froid : elle a tendance à s’élever. Comme ce sont les basses couches de l’atmosphère qui sont réchauffées par le Soleil, l’air chaud au niveau du sol monte : on parle de convection. Si la convection est suffisamment intense, l’air chaud peut s’élever très haut dans l’atmosphère (plusieurs kilomètres) ce qui le refroidit du fait de la diminution de sa pression. Dans certaines conditions, ce refroidissement fait condenser la vapeur d’eau contenue dans l’air : un nuage apparaît.
Mais en se condensant, la vapeur d’eau réchauffe l’air dans laquelle elle est contenue, ce qui peut entretenir son mouvement ascendant. Si le mouvement ascendant est suffisamment fort, un orage se déclenche. La pluie refroidit le sol et stoppe l’augmentation des températures.
Plus il y a de vapeur d’eau dans la particule d’air au départ, plus la condensation est facile : le mouvement ascendant et les chances de précipitations orageuses sont renforcés.
L’humidité au niveau du sol joue donc un double rôle pour limiter l’augmentation des températures : elle permet de rafraîchir l’air localement en s’évaporant, et elle limite les augmentations de température en favorisant la convection.
Pourquoi les orages ne se déclenchent pas systématiquement pendant les vagues de chaleur
Mais la convection ne se déclenche pas systématiquement. En effet, pendant les vagues de chaleur les plus intenses, une bulle de haute pression et d’air chaud se trouve au-dessus des régions touchées, à une altitude d’environ 5 à 6 kilomètres, c’est le fameux anticyclone de blocage, qui peut atteindre quelques milliers de kilomètres de large. Un tel anticyclone bloque la condensation de la vapeur d’eau et empêche le déclenchement de la convection profonde et des orages.
C’est donc la combinaison des caractéristiques physiques de cet anticyclone et de l’humidité du sol qui définit les températures maximales atteignables pendant une vague de chaleur.
Dans notre étude, nous montrons que la température maximale définie par les caractéristiques de l’anticyclone de blocage change assez peu entre des conditions anticycloniques passées (entre 1940 et 1980) et présentes (entre 1981 et 2021), alors que les températures maximales observées au sol augmentent fortement, entre 2 et 3 °C selon les régions. Cette augmentation est probablement principalement due à des phénomènes d’assèchement des sols liés au réchauffement climatique d’origine anthropique.
Robin Noyelle, Doctorant en sciences du climat au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE-CEA-IPSL), Université Paris-Saclay; Davide Faranda, Senior Researcher, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Yi Zhang, Postdoctoral scholar, University of California, Berkeley
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.