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Illustration de Martin Van Maële : la momie de la nouvelle fantastique “Lot n°249”(1892) d’Arthur Conan Doyle. Wikipédia

Le striptease de la momie au XIX? siècle ou la fascination de l’Occident pour les dépouilles antiques

Illustration de Martin Van Maële : la momie de la nouvelle fantastique “Lot n°249”(1892) d’Arthur Conan Doyle. Wikipédia
Charles Vanthournout, Université de Lorraine

Le 25 juin 1882, le New York Times publie un article intitulé « Mummies as Bric-a-Brac » rapportant que certes, l’homme moderne se doit de voyager et découvrir l’Égypte, mais qu’il est recommandé, en plus, d’en ramener une momie en souvenir.

« Le voyageur moderne ne se contente pas de collectionner des perles, des statuettes funéraires d’autres objets de ce genre. Il doit ramener chez lui un ancien Égyptien in propria persona. »

Pourquoi inciter à un tel comportement ? Par-delà l’aspect d’un simple témoignage archéologique, quels attributs, quels pouvoirs confère-t-on aux momifiés, à l’époque ?

La momie et ses vertus thérapeutiques

Un pot pharmaceutique du XVIII? siècle, supposé contenir des matières issues de momies. Bullenwhächter/Wikipedia, CC BY

Si la présence de momies en Égypte n’était pas un fait inconnu des Occidentaux, c’est seulement à partir de l’époque médiévale que les Européens s’intéressent aux substances utilisées pour la momification. Cette possibilité de conserver les morts durant des siècles va conférer à cette pratique une nouvelle dimension : on prête à la momie des vertus thérapeutiques.

Le mot momie est une dérive du latin médiéval mumia désignant une « substance extraite des corps embaumés, utilisée comme drogue médicinale », lui-même issu de l’arabe m?miy? désignant un « mélange de poix et de bitume servant à embaumer les morts ». Ainsi, dès le XII? siècle, les momies sont utilisées comme remèdes pharmaceutiques. Le bitume utilisé par les anciens Égyptiens pour préserver le corps, afin qu’ils puissent selon les croyances antiques revivre dans l’au-delà, était alors utilisé pour soigner divers symptômes par les médecins orientaux et occidentaux.

Si l’on en croit le médecin anglais Sir Thomas Browne, en 1658 :

« La momie est devenue une marchandise […] et Pharaon est vendu pour des baumes. »

Progressivement, l’utilisation de corps momifiés devient une nécessité pour la pharmacopée médiévale. Les momies étaient démembrées, broyées et importées en Europe afin de produire « une poudre de momie » consommée au travers d’onguents, comme médicament ou calmant traitant les blessures, abcès ou problèmes intestinaux.

On prêtait aux momies une fonction curative, en référence à une Égypte mystique capable par sa magie de guérir les maladies. Cet aspect se double d’une fonction mercantile : elle est vendue à prix d’or et le marché de la momie est en pleine expansion au Moyen-âge, non sans dérives : certains marchands se vantaient de détenir de la poussière de momie royale !

Face à la demande exponentielle d’un marché européen en plein essor, le pillage de nécropoles égyptiennes s’intensifie. Les momies devenant rares et coûteuses, les faussaires font leur apparition avec des momies d’animaux, des momies de morts prématurés de maladies, voire des modèles en cire. Malgré les malversations l’engouement pour la poudre de momie « rédemptrice » n’a pas disparu. Hier encore (1998), la poussière de momie – ou pseudo – se vendait sur les étagères des boutiques occultes de New York et Philadelphie.

Momie peinture et momie papier

Les momies suscitent un enthousiasme certain dans le domaine artistique au XIXe siècle. Ce siècle du romantisme et de l’orientalisme qui s’ouvre en Europe comme aux États-Unis pousse les artistes peintres à utiliser d’autres matériaux et notamment le « caput mortuum » ou « brun de momie » pigment rouge contenant à l’origine des morceaux broyés de momies, de résine blanche et de myrrhe.

Cet Intérieur d’une cuisine de Martin Drôlling (1815) aurait été peint à base de brun de momie. Louvre

Produit pour la peinture à l’huile, son utilisation s’est étendue à d’autres techniques comme l’aquarelle. Utilisé pour donner aux œuvres d’art une dimension exotique et éternelle, son emploi n’a connu qu’un succès mitigé. Les artistes émettaient des réserves quant à sa fiabilité :

« Bitume momie, couleur brun roux, origine bitume naturel, le plus néfaste des pigments. Ne sèche jamais. » (André Béguin, Mémento pratique de l’artiste peintre, 1979)

Une page du livre du Jubilé de Norwich (1859) imprimé sur du papier fabriqué à partir des enveloppes de momies égyptiennes. Mummy mania

Les réserves quant à son utilisation se justifient également par une question éthique notamment en ce qui concerne la fabrication de cette poudre avec des morceaux de momies. Si cette question était ignorée à l’époque par certains artistes au vu des intérêts commerciaux, d’autres au contraire s’insurgent et en 1881, l’artiste peintre préraphaélite Lauwrence Alma Tadena décide d’enterrer ses tubes de peinture après avoir appris que les couleurs avaient été obtenues à partir d’une momie !

Dans le domaine industriel, aux États-Unis, les momies trouvent aussi une utilisation bien singulière. On s’en sert pour pallier le coût des fibres de chiffon, dans la réalisation du papier moderne. Les papeteries américaines ont ainsi utilisé le linceul de nombreuses momies afin de fabriquer du papier, comme ce fut le cas, en 1862, de la papeterie américaine du Maine d’Augustus Stanwood pour confectionner son papier d’emballage. Signe de mauvais augure, la légende veut que l’ensemble de ses ouvriers soient morts du choléra.

On peut lire sur une affiche de célébration de Jubilé à Norwich, en 1859 :

« Ce papier est fabriqué par la Chelsea Manufacturing Company de Greenville, la plus grande usine de papier au monde. Le matériau qui le compose a été apporté d’Égypte. Il a été prélevé dans d’anciennes tombes où il avait été utilisé pour l’embaumement de momies ».

Des bizarreries qui attisent la curiosité

Au XIXe siècle, l’Égypte antique est perçue comme la mère des civilisations. Le vestige égyptien était gage de sagesse pour son propriétaire. Toutefois, seule une infime partie de la population américaine, souvent aisée, pouvait faire ce genre d’acquisition. Faire découvrir les richesses de l’Égypte à l’immense majorité de la population devient dès lors une source de profits pour les entrepreneurs du spectacle.

Avant d’être exposées dans les musées, les momies étaient promenées de ville en ville dans les carnavals et cirques itinérants et expositions de fortune. La momie, au même titre que les « freak shows », était avant tout un objet de divertissement, une bizarrerie humaine.

Parallèlement, d’autres spectacles sont organisés et touchent une frange plus érudite de la population. Ce fut le cas des démaillotages de momies. En effet, dans une perspective scientifique, les momies étaient « déshabillées » et étudiées en public. Le médecin Thomas Joseph Pettigrew en Angleterre et George Robin Gliddon aux États-Unis sont les plus célèbres examinateurs de momie. Véritables spectacles aux États-Unis, les démaillotages étaient un moyen de montrer à un public passionné des exemples réels de sauvetage et d’analyse des vestiges du passé et, en outre, d’imprégner les esprits sur l’évolution raciale présentant les « caucasiens » comme descendant des Égyptiens. Ces démaillotages étaient suivis par des conférences sur le thème de la momification.

On peut lire dans le Baltimore Patriot, en 1830 :

« Ces vénérables vestiges de l’antiquité présentent à l’œil du spectateur une image saisissante de trois mille ans, et constituent incontestablement la plus grande curiosité jamais offerte à un public américain. »

La malédiction des momies

Dans l’élan impérialiste et colonialiste du XIXe siècle et début XXe, l’archéologie et la fiction populaire transforment la momie en une figure féminine séduisante et maléfique.

La quête scientifique objectivant la momie et sa marchandisation fait naître dans les romans victoriens, comme ceux de H.D. Everett, Iras. A Mystery (1896) Rider Haggard, She (1887) ou encore de Bram Stoker, The Jewel of Seven Stars (Le Joyau des sept étoiles, 1903), une réincarnation de la figure de la momie présentée comme humaine et séduisante.

Victime directe des recherches archéologiques et de la profanation des tombeaux, elle se réincarne sous la forme d’une beauté orientale vengeresse. Les châtiments que la momie inflige sont aussi liés aux démaillotages publics et aux examens réalisés par les archéologues, perçus comme une forme d’agression sexuelle.

Une annonce de démaillotage de momie, à Boston, en 1850, sous la houlette de George Gliddon, premier égyptologue américain. Yale
Page de titre de l’ouvrage de Jane Webb Loudon (1828), l’une des premières histoires à traiter d’une « malédiction de la momie ». Wikimedia

En effet, les démaillotages relatés dans les premiers romans d’époque victorienne renvoient à la conquête occidentale de l’Orient, personnifiée par la momie, symbole d’une femme vierge étrangère soumise aux envahisseurs. Cette femme orientale est détaillée, déballée, et pénétrée comme devait l’être l’Égypte coloniale. L’exposition du corps momifié, le retrait des bandages de lin, laissant apparaître un corps nu sans défense, dévoile un fantasme érotique comparable au viol. L’objet archéologique (la momie) devient un objet sexuel.

Cette sexualisation de la momie trouve également un écho dans le pillage des tombes égyptiennes. S’intensifiant au XIXe siècle, les pillages de tombeaux et l’accaparement des momies reflètent également le concept sexualisé de la pénétration et du viol. Très présente dans la littérature victorienne, la malédiction de la momie incarne la notion de vagina dentata : les momies revenues à la vie se vengent du viol de la pénétration du tombeau (Louisa May Alcott, Lost in Pyramid or, The Mummy’s Curse, 1869).

Dans le Roman de la Momie, Thépophile Gautier écrit :

« J’ai l’idée que nous trouverons […] un tombeau qui n’a jamais été altéré […] mais qui nous livrera, intactes, toutes les richesses de son mystère vierge. »

Albert Robida, illustration pour le Roman de la momie de Théophile Gautier (1858). Wikimedia

Ainsi, bien avant la découverte du tombeau de Toutankhamon (1922), l’idée de malédiction par une momie vengeresse trouve écho dans la profanation des tombes égyptiennes et l’absence de culpabilité des archéologues qui violent les tombeaux. L’une des plus célèbre momies vengeresses est « The Unlucky Mummy » conservée au British Musuem (BMEA22542) : elle aurait porté malheur à l’ensemble de ceux qui l’ont rencontrée et aurait même, d’après une légende, fait couler le Titanic.

La momie face aux chrétiens

Ces déballages, ces exhibitions de momie dénotent une certaine curiosité malsaine, forme de voyeurisme à l’égard du défunt et de la mort. Dans cette période victorienne où la mort est omniprésente, la curiosité face à des corps enveloppés et momifiés l’emporte sur la pudeur et la dignité. Mais cette curiosité se pare aussi d’un esprit religieux et scientifique marqué par la volonté de prouver les évènements bibliques.

Le démaillotage de momies posait également la question des richesses contenues dans les sépultures des momies. En effet, l’austérité prônée par la religion chrétienne était en totale contradiction avec l’abondance de richesses que contenaient certains tombeaux ou momies égyptiennes. Cette profusion de richesses amena certains à émettre l’hypothèse que les Égyptiens étaient incapables de reconnaitre la valeur des objets enfouis avec leurs morts.

Dans La Tombe de la Momie (1942), un film d’horreur de Lon Chaney. Le héros est assassiné par une momie venue pour se venger de la profanation de la tombe d’Ananka. Wikimedia

Dans un esprit de charité et de ferveur chrétienne et bien que les Égyptiens soient polythéistes, un nombre important de momies ont été réenterrées dans de nouvelles sépultures chrétiennes. La momie d’Amun-Her-Kepesh-Ef vendue à Henry Sheldon en 1886 pour son musée de Middlebury (Vermont) a été redécouverte dans le grenier du musée par le conservateur George Mead en 1950. La momie fut incinérée et enterrée au West Cemetery (Vermont) avec une croix chrétienne sur sa pierre tombale – une manière de se soucier de la dignité et de l’âme du défunt.

Tombeaux violés, momies transformées en onguent médicinal, en peinture, démaillotées en public : le XIXe siècle marque une certaine déshumanisation des momies. Pillées et séparées des biens avec lesquels elles avaient été enterrées, les momies ont perdu une part de leur identité, de leur intégrité et de leur caractère mystique.

Le XXIe siècle offre un nouveau regard sur les momies. Les travaux archéologiques et scientifiques ont apporté de nombreuses réponses et une meilleure compréhension concernant les sépultures égyptiennes, les techniques d’embaumement et par la même des momies. De nouvelles fouilles, comme celle de Saqqarah et la découverte d’une momie de plus de 4 000 ans, enrichissent toujours l’histoire de cette civilisation. Mais la fascination pour les momies, elle, n’est pas prête de s’éteindre.

Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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