Dans sa chronique, l’éditorialiste au « Monde » Françoise Fressoz estime que le chef de l’Etat peut bien « mettre le paquet », il n’est pas sûr de parvenir à calmer la colère des « gilets jaunes ».
Chronique. Cette fois, Emmanuel Macron a compris : la crise révélée par le mouvement des « gilets jaunes » est grave, profonde, multiforme. Elle est sociale, démocratique, identitaire. Elle montre qu’une partie du pays est en train de faire sécession dans le désordre, la violence et, pour certains, dans la haine. Depuis quelques jours, les économistes et les sociologues qui avaient aidé le candidat pendant sa campagne présidentielle ont retrouvé l’oreille présidentielle. Et ce qu’ils conseillent au président va dans le même sens : surtout ne pas lésiner sur la réponse, mettre le paquet sur des annonces concrètes susceptibles de doper le pouvoir d’achat des Français qui peinent à boucler leur fin de mois. Et vite.
Dans l’urgence, Emmanuel Macron doit renouer le dialogue et tenter de traiter dans la foulée toutes les autres questions qui ont surgi dans cette crise : le sentiment d’injustice sociale, la peur du déclassement, le mauvais fonctionnement de la démocratie, le rejet fiscal, l’urgence climatique… Le chef de l’Etat est appelé à s’exonérer de la règle des 3 % de déficit, ce n’est plus le sujet. Le sujet, c’est de tenter de sauver le mandat présidentiel à travers un « nouveau pacte social », selon les mots du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Si ceux-ci ont un sens, il s’agit d’un tournant, du grand tournant du quinquennat. Et pourtant, personne ne se hasarde à dire que la réponse présidentielle sera vécue comme une victoire par les « gilets jaunes ». Personne ne prétend qu’elle mettra fin à la crise, au terme de la quatrième journée de manifestation qui a mobilisé, samedi 8 décembre, pas moins de 89 000 policiers et gendarmes pour éviter le pire.
Car il ne suffit de dire : « Je vous ai compris ! », encore faut-il que ce message d’empathie tombe au bon moment. Or, le mouvement des « gilets jaunes » demeure toujours aussi gazeux. Né sur les réseaux sociaux, il se montre rétif à toute délégation de pouvoir et reste travaillé par des ultras, qui veulent marcher sur l’Elysée et mettre à bas le régime. Le rejet, pour ne pas dire la haine, que suscite Emmanuel Macron est une donnée fondamentale du conflit.
Lâcher du lest
Le président de la République paie au prix fort son côté « premier de cordée », ses phrases maladroites à l’égard des plus humbles et, plus fondamentalement, la difficulté qu’il a éprouvée, sans doute parce qu’il n’a jamais exercé de mandat local, à sentir le moment où il fallait commencer à lâcher du lest. Pendant les premières semaines du conflit, lui et son premier ministre ont obstinément refusé de reculer sur la fiscalité pétrolière, de peur de ressembler aux gouvernements du « monde d’avant ».