Entre protection des donnés personnelles et lutte contre les cybermenaces, les Etats peinent à définir des stratégies d’équilibre, analysent Frans Imbert-Vier et Philippe Muller Feuga, spécialistes de la sécurité des données, dans une tribune au « Monde ».
Tribune. La numérisation du monde modifie les rapports de force entre les nations et impacte, tout autant que le contrat social entre l’Etat et ses citoyens, la stratégie de sécurité nationale. La donnée en masse est devenue un outil de puissance et d’influence ; le cyberespace est devenu la nouvelle scène de la politique mondiale.
A l’Internet libéré, salué en 1996 lors du Forum de Davos par la déclaration d’indépendance du cyberespace, succède une défiance symbolisée par la formule « vie privée contre renseignement d’Etat ». Le chiffrement de l’information solutionne en partie le premier terme de cet adage ; mais la vigilance, en raison des vulnérabilités avérées des technologies, conduit au second par la mise en place d’un contrôle, voire d’une censure d’Etat.
Assiste-t-on à la fin de l’Etat de droit souverain, ou bien à l’émergence d’un Etat de surveillance de masse, nourrie de données pour parer à toute attaque ou menace sur les intérêts essentiels d’une nation ?
Avec la révolution numérique, les frontières traditionnelles se sont effacées. Les Etats, n’ayant pas anticipé le phénomène, peinent à y opposer leur souveraineté. La protection des informations sensibles faiblit face aux intrusions des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) américains, et désormais des BATX (Baitu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) chinois. Plus significative encore est la cyberguerre mondiale qui, dans l’anonymat des auteurs d’attaques, capte des actifs informationnels pour nuire aux intérêts essentiels d’un acteur privé ou d’un Etat. Les cibles ? Les installations vitales, les start-up, les centres de recherche, les industries, mais aussi le politique et son écosystème d’influence, les lobbyistes.
Adapter le bouclier et le glaive à l’ère numérique
Pour l’Union européenne, Internet reste un espace neutre et sans frontières, alors qu’il est géré par l’ICANN américain et que l’une des premières décisions de l’administration Trump aura été d’abolir la neutralité du Net, en juin 2018. Le cyberespace a un parti pris essentiellement américain. Aux Etats-Unis, 24 agences de renseignements (sur 26 !) sont consacrées à l’intelligence économique, autrement dit à l’espionnage industriel – une orientation prise par la National Security Strategy dès 1990 – et disposent des outils de la communauté du renseignement intérieur et extérieur, civil et militaire, et d’un arsenal juridique souverain à capacité extraterritoriale. Cette politique change le concept de sécurité nationale qui est à revoir, en Europe comme en France, dernier des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (ONU) à ne pas avoir doté son arsenal politique d’outils comparables.
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