A la veille de la Grande Guerre, les inégalités de revenu comme de richesse sont parmi les plus élevées du monde en Suède, au bénéfice d’une noblesse dominante et d’une nouvelle grande bourgeoisie industrielle explique, dans sa chronique, l’historien Pierre-Cyrille Hautcœur.
Recherches. Au moment où une nouvelle impulsion doit être donnée au gouvernement, on peut espérer que le modèle scandinave, tant vanté par le président de la République avant son élection, redevienne un horizon partagé. Mais pour qu’il le soit de manière crédible et sur le long terme, condition indispensable à des transformations sérieuses, il faut comprendre ses origines. Les travaux des historiens suédois sont à cet égard irremplaçables, notamment ceux, récents, d’Erik Bengtsson (université de Lund).
Beaucoup de recherches sur les « variétés de capitalismes » ont eu tendance à réifier les spécificités nationales en catégories intemporelles : « libéralisme anglais », « étatisme français » ou « égalitarisme suédois », pour n’en citer que quelques-uns. Une part de l’historiographie traditionnelle suédoise a de fait construit l’idée que l’égalitarisme était dans la nature de la société suédoise et s’ancrait dans l’importance d’une catégorie de paysans propriétaires depuis le Moyen Age.
Cette catégorie aurait bénéficié précocement d’une représentation parlementaire et d’un déclin de la noblesse. De ce fait, elle aurait conduit à une transition « naturelle » vers une social-démocratie modérée et ses systèmes de retraite ou d’assurance-chômage exemplaires, conciliant efficacité et justice.
Taux d’adhésion aux partis politiques ouvriers recordsLes travaux récents montrent pourtant que la Suède du XIXe siècle n’a rien d’une société égalitaire. A la veille de la Grande Guerre, les inégalités de revenu comme de richesse y sont parmi les plus élevées du monde, au bénéfice d’une noblesse qui reste très dominante et d’une nouvelle grande bourgeoisie industrielle.
Un prolétariat urbain a rejoint ouvriers agricoles et domestiques (auxquels la loi imposait jusqu’en 1885 des formes de travail forcé) pour former une classe populaire condamnée par la misère à émigrer massivement (un Suédois sur cinq en trente...
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