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Demain, serons-nous « amis » avec des avatars virtuels ? lilmiquela / Instagram, capture d'écran

Le métavers va-t-il bouleverser les liens d’amitié chez les jeunes ?

Demain, serons-nous « amis » avec des avatars virtuels ? lilmiquela / Instagram, capture d'écran
Thomas Leclercq, IÉSEG School of Management et Elodie Gentina, IÉSEG School of Management

L’adolescence correspond à une période de changements profonds, tant sur le plan biologique que social, pendant laquelle le jeune se détache progressivement de sa famille d’origine et construit un monde plus personnel, séparé des parents, en intégrant un nouveau groupe : le groupe de pairs, regroupant ses amis. Selon l’étude de Find Your Tribe de 2020, 46 % des adolescents préfèrent créer des amitiés en ligne (35 % des Français le pensent).

Les avancées technologiques ouvrent les portes d’un nouveau monde virtuel fictif – le métavers – qui a conquis les jeunes passionnés de jeux vidéos utilisant les plates-formes de Roblox, Fornite, et d’autres. Une étude menée par Razorfish et Vice Media Group montre que 52 % des « gamers » de moins de 25 ans se sentent plus eux-mêmes dans le métavers que dans la « vraie vie ». Cependant, hormis pour les passionnés utilisant ces plates-formes, il faudra de solides arguments pour embarquer la nouvelle génération dans cette nouvelle économie du métavers. En effet, bien que 9 entreprises sur 10 accélèrent leurs investissements dans le métavers, une étude publiée par la banque Piper Sandler souligne que l’ensemble des jeunes n’est pas encore prêt à adhérer au monde du métavers. Parmi les 7 100 adolescents américains interrogés (âge moyen : 16 ans), 48 % d’entre eux déclarent être « incertains » quant à l’avenir du métavers ou se disent tout simplement « pas intéressés ».

Étant donné son récent développement, il y a encore peu d’information sur ce que sera ce métavers et ses effets sur les liens sociaux. Nous pouvons cependant émettre quelques hypothèses. En quoi le métavers pourrait révolutionner les relations humaines dans les prochaines décennies, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes ?

Les relations parasociales avec des amis qui nous ignorent

Avec les réseaux sociaux numériques, les jeunes créent des amitiés virtuelles, amenant à un nouveau type de relation, spécifique au monde du web et des réseaux sociaux – l’amitié 2.0 (extension de l’amitié réelle ou amitié virtuelle). L’enjeu de l’amitié 2.0 est d’intéresser l’autre, d’être remarqué et éventuellement d’être aimé (liké).

La plupart des adolescents ont tendance à rendre leurs messages caricaturaux, voire provocateurs, de façon à attirer les commentaires et les visionnages. Plus on a « d’amis », plus on se sent exister et moins on devrait se retrouver confronté à l’absence et au vide existentiel (parmi tous ces « amis activables », au moins l’un d’entre eux va se manifester).

Sur Facebook par exemple, la création de ces nouveaux liens amène à une nouvelle définition de l’amitié : le « friending ». Il s’agit ici du lien entre deux « profils », les « friends » étant des personnes dont le profil intéresse, dont on peut avoir envie de télécharger les fichiers MP3, voir leurs photos, lire leurs blogs mais… qui ne sont pas forcément des « amis » sur Facebook (ne parlons pas de la « vraie vie » !). Le friending est donc un acte déclaratif qui autorise l’échange d’informations, mais qui n’a plus rien à voir avec le plaisir à être et à échanger ensemble. Le sujet se sent exister pleinement parce qu’il s’imagine qu’un grand nombre de personnes pensent à lui, s’intéressent à ce qu’il dit et fait. Les jeunes tendent à établir des relations sociales sans chercher à entrer dans l’intimité.

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Comment expliquer que l’on puisse tisser des liens affectifs avec des personnes ou personnages qui, pourtant, ignorent tout de notre existence ? Si vous vous sentez véritablement proche d’une personne que vous ne connaissez que par média interposé, vous faites l’expérience de ce que certains chercheurs nomment une « relation parasociale ».

Dans le cadre de relations parasociales, les utilisateurs ne peuvent pas passer le cap de la rencontre, et vont garder une distance avec la figure en ligne, tout en lui envoyant des signes de reconnaissance, en commentant ses publications ou en lui écrivant des messages privés. Les célébrités et les influenceurs demeurent dès lors des personnalités idéalisées. Grâce au développement de ces relations parasociales, ils peuvent maintenir un sentiment de proximité envers les fans sans devoir entretenir des échanges avec ces derniers – ou bien rarement et de façon superficielle, voire professionnalisée (dans ce cas ce n’est pas la personnalité qui répond, mais la personne qui est en charge de gérer sa communication en ligne).

Ces fans peuvent également se rencontrer et se lier d’amitié au sein de communautés, selon des liens plus classiques.

Cette forme d’amitié en ligne est bien distincte de l’amitié réelle, telle qu’on la connaît, qui, selon Antonio Casilli, sociologue, se fonde sur un échange mental, moral mais aussi physique. Le besoin, à l’adolescence, de créer des amitiés en ligne plutôt que dans le monde physique témoigne de l’importance pour les adolescents de contrôler leur identité. Le virtuel pourrait ainsi les aider à dépasser leurs peurs mais réduire leur implication véritable dans la relation amicale.

La dissymétrie propre à la relation parasociale tient-elle alors toujours à l’ère du métavers ? Si les réseaux sociaux offrent la possibilité aux adolescents d’élargir les relations en dehors des liens interpersonnels que nous tissons dans la vie réelle, ils sont aussi le lieu où il est possible de traverser l’écran et échanger avec la figure médiatisée via son/ses avatars, si ce dernier est authentique.

La création de nouveaux espaces de rencontre grâce aux métavers

Les métavers offrent la possibilité d’accéder à des espaces publics virtuels où les citoyens peuvent travailler, partager une activité sportive, jouer, faire du shopping, ou danser. Ces espaces offrent de nouvelles opportunités de rencontres et donc la création d’amitié sur base du partage d’intérêts communs. Par exemple, les Horizon Worlds permettent à des groupes d’amis de se retrouver dans un lieu privé mais proposent également des boîtes de nuit, des espaces de jeu, des ateliers, des clubs de sport, des salles de spectacles virtuels où les utilisateurs pourront se rencontrer, développer de nouveaux liens d’amitié et former de nouvelles communautés. Alors que les réseaux sociaux généraient des liens d’amitié via des échanges, le métavers offre en plus la possibilité de partager des activités et des expériences.

Les liens parasociaux à l’ère du métavers : le dialogue retrouvé ?

Les réseaux sociaux tels que TikTok, Instagram, Facebook et Twitter permettent déjà de suivre le quotidien d’influenceurs et de célébrités, et ainsi de créer un sentiment d’affection et de proximité unilatéral envers ces derniers, une relation d’amitié décrite comme parasociale. Si ces relations guident déjà fortement les comportements de consommation, particulièrement pour la génération Z habituée aux amitiés digitales, l’avènement du métavers va accentuer leur intensité en rendant les échanges plus interactifs et immersifs.

En effet, les utilisateurs du métavers pourront évoluer dans des mondes créés par ces célébrités et influenceurs, parfois les rencontrer, ou jouer avec eux via leur avatar (ou jumeau digital). Par exemple, Snoop Dogg a créé l’espace « Snoopverse » (sur la plate-forme The Sandbox) et Paris Hilton est propriétaire de l’espace « Paris World » sur Roblox. Justin Bieber va également prochainement organiser un concert dans le métavers « The Wave ».

Selon une étude de IZEA Worldwide, 56 % des influenceuses et influenceurs indiquent être déjà présents dans un métavers et 70 % d’entre eux pensent que le métavers remplacera les réseaux sociaux. Ce métavers permettra aux fans et followers de se sentir davantage « connectés » aux célébrités et influenceurs. Et aux influenceurs de démultiplier les occasions de générer des revenus publicitaires…

La possibilité de développer un lien d’amitié avec des influenceurs virtuels

Le développement des intelligences artificielles a fait naître de nouveaux acteurs sur les réseaux sociaux : les influenceurs virtuels. Leur succès est exponentiel. Par exemple, créée en 2003, Lu de Magalu est une influenceuse virtuelle à la tête d’une communauté comptant plus de 32 millions de fans. Sa popularité l’a amenée à faire la couverture du magazine Vogue. De manière similaire, Miquela Sousa est une influenceuse virtuelle sur TikTok. Elle rassemble plus de 3,5 millions de followers.

Ces influenceurs partagent un quotidien fictif avec leur communauté. Leur succès repose sur leur réalisme et leur capacité à créer un sentiment de proximité avec leurs fans. Comme suggéré par les travaux de Dwivedi et ses collègues, en devenant citoyens du métavers, ces agents virtuels pourront se mêler aux utilisateurs et donc renforcer le réalisme de la relation amicale partagée – qui restera pour autant factice, voire encore plus factice, puisque ces I.A ne sont que des programmes informatiques et non des êtres humains. Ils pourront, par ailleurs, se dupliquer pour apparaître simultanément dans un même univers et dans plusieurs métavers, ce qui augmentera les opportunités d’interactions directes avec ces influenceurs et donc le sentiment de relations parasociales auprès de leurs fans.

Le métavers n’est cependant pas exempt de dangers. Comme le suggère une étude de Statista, environ 40 % des consommateurs voient dans le métavers des risques d’addiction, d’usurpation d’identité, ou de harcèlement. Ces sujets devront rapidement être abordés afin de réguler les interactions dans ces mondes digitaux.

En conclusion, même si son développement en est encore à ses débuts, le métavers va probablement transformer la manière dont les jeunes pourront créer des liens d’amitié en les immergeant dans des espaces où ils pourront partager des activités et des expériences avec des pairs, des célébrités, des influenceurs et des intelligences artificielles, tous « citoyens » de l’univers virtuel. Le métavers aura à terme un impact sur tous les aspects de notre quotidien, y compris le travail. Pour le moment, les recruteurs se rendent compte que les jeunes ne sont pas encore présents massivement dans le métavers, mais ils commencent à se préparer à y attirer et recruter des talents pour les années à venir. Le métavers pourra dès lors devenir une nouvelle opportunité d’entrer en contact et d’interagir avec les jeunes.

Thomas Leclercq, Professeur assistant en marketing, IESEG School of Management (LEM-CNRS 9221), Head of Marketing and Sales Department, IÉSEG School of Management et Elodie Gentina, Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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