Jean-Laurent Cassely, journaliste, s’est intéressé à décrypter les choix d’une minorité de jeunes surdiplômés en rupture avec les codes de l’entreprise et mus par l’envie de faire quelque chose de leurs mains et en dehors des open spaces. Un épiphénomène qui révèle le malaise d’une génération et dont il a tiré un livre, La Révolte des premiers de la classe. Entretien.
Quand avez-vous perçu les premiers signaux de cette « révolte des premiers de la classe » ?
Jean-Laurent Cassely J’ai commencé à travailler sur le sujet il y a quatre ans, en récoltant des témoignages dans mon entourage, des coupures de presse, notamment dans les magazines féminins et dans les publications professionnelles. Les reconversions radicales sont devenues une sorte de marronnier journalistique, les récits ou portraits de cadres en attaché-case ou d’executive women de la Défense qui passent un CAP cuisine ou deviennent fromagers font rêver les lecteurs et sont toujours très lus.
Ce qui m’intéressait dans ce phénomène était ce qui semblait être un début d’inversion des critères de prestige scolaire et professionnel. J’ai grandi comme tout le monde avec l’idée que plus on était fort à l’école, plus on s’éloignait des métiers manuels pour aller vers des fonctions dans lesquelles l’abstraction était reine.
Or, avec ces diplômés, on avait affaire à des gens qui possédaient tous les titres de la réussite scolaire traditionnelle et qui décidaient de se réorienter et de se « déclasser », puisque dans notre système éducatif, avoir un bac + 5 puis un CAP n’équivaut pas à un bac + 6, mais est (ou était) vécu comme une forme de régression scolaire, voire une transgression.
Ces jeunes diplômés en réorientation sont pour l’instant un épiphénomène mais selon vous ils ouvrent la voie à un engouement plus massif. Quels sont les indices ?
L’exode des open spaces vers ces métiers est une tendance difficile à chiffrer, même si on a l’impression de tous connaître quelqu’un qui a suivi un tel parcours !
En plus du « manuel » stricto sensu, de l’artisanat et du petit commerce alimentaire, il y a aussi les métiers du bien-être, de l’enseignement, du soin (yoga, coaching…), qui attirent les jeunes diplômés en quête de sens.
La presse participe à l’amplification du phénomène en faisant de ces individus au parcours atypique des contre-modèles et des héros. Le hipster microbrasseur ou le pâtissier s’est peu à peu substitué aux héros de la mondialisation heureuse : les cadres supérieurs de La Défense.