Apparu au XVIIe siècle, le terme n’est employé qu’en 1975. Cette tactique,qui vise à instrumentaliser politiquement la justice, est de plus en plus utilisée comme moyen de pression par les gouvernements et les organisations non gouvernementales.
Histoire d’une notion. Jean-Luc Mélenchon serait-il entré en guerre ? Dans une tribune cosignée par plus de 200 personnalités, parue dans Le Journal du dimanche, le 7 septembre, quelques jours avant de comparaître dans l’affaire des perquisitions au siège de La France insoumise (LFI), le chef des « insoumis » dénonce « les procès politiques » intentés par un pouvoir qui utilise, selon lui, le « lawfare » pour « éliminer les concurrents ». Le lawfare serait, selon les signataires, une « tactique d’instrumentalisation de la justice » qui « enferme les débats politiques dans les cours de justice ».
Ce concept qui relève du vocabulaire militaire est en réalité bien plus compliqué. Né de la contraction de law (droit, loi) et warfare (guerre, combat), ce néologisme désigne, selon le politiste Adrien Estève, « un usage stratégique du droit par un acteur du système international, dans le but de faire avancer une cause ou de bénéficier d’un avantage sur ses adversaires ». Ce doctorant, qui est l’un des rares spécialistes du concept en France, est l’auteur d’une riche contribution sur ce thème dans l’ouvrage Guerres et conflits armés au XXIe siècle (sous la direction de Benoît Pelopidas et Frédéric Ramel, Les Presses de Sciences Po, 2018).
L’art de « gérer la guerre et le droit ensemble »
Les origines de ce concept remontent au XVIIe siècle. Considéré comme l’un des pères fondateurs du droit international, le jurisconsulte Hugo Grotius (1583-1645) inaugure, en 1609, cette tactique, que l’on n’appelle pas encore le lawfare : au nom de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, il rédige, en réponse au Portugal qui bloque l’accès à l’océan Indien, un traité intitulé Mare Liberum (1609), dans lequel il établit que, en vertu du droit des gens, la mer est commune à tous. Et il l’emporte : la Compagnie néerlandaise obtient par le droit ce qu’elle n’a pas obtenu par les armes.
Il faut toutefois attendre 1975 et les travaux de John Carlson et Nevilles Yeomans sur l’histoire des systèmes de médiation juridique pour découvrir, pour la première fois, le terme lawfare dans une publication. Vingt-six ans plus tard, en 2001, le major général de l’US Air Force Charles Dunlap, inspiré par leur recherche, définit ce concept lors d’une conférence organisée à la Kennedy School : selon lui, le lawfare désigne, de manière neutre, l’art de « gérer la guerre et le droit ensemble », précise Adrien Estève, chercheur au Centre de recherches internationales (CERI-Sciences Po).
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