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Le Cercle des économistes. Qu’attend-on de l’Etat en France ? Qu’il nous soigne, nous éduque, nous protège, répare les accidents de la vie, les inégalités de l’existence et s’occupe de nous à l’âge de la retraite. A peu près tout donc, si l’on en juge par les revendications diffuses des « gilets jaunes » qui exigeaient dans un même élan plus de services publics et moins de taxes. Des demandes soutenues par l’écrasante majorité des Français.

Au-delà des tâches régaliennes de police, de justice et de défense nationale, les services publics sont plébiscités. Lors de la consultation organisée en 2017 et 2018 par le Forum de l’action publique 2022, il était demandé aux participants quelles missions pourraient être abandonnées, les 17 000 participants n’en ont trouvé aucune. En revanche, les deux tiers d’entre eux se plaignaient d’une dégradation.

C’est ce sentiment diffus d’une machine généreuse mais trop lourde et de moins en moins attentive aux besoins des concitoyens qui génère le malaise

Ce que confirme le baromètre Kantar de l’Institut Paul-Delouvrier de fin 2018, qui note un fléchissement net de l’opinion à l’égard de l’action de l’Etat. C’est ce sentiment diffus d’une machine généreuse mais trop lourde et de moins en moins attentive aux besoins des concitoyens qui génère le malaise. « La double demande d’égalité des services publics sur tout le territoire et d’une baisse de la fiscalité va exercer sur le système public une contrainte d’efficacité énorme », résume l’économiste Jean Pisani-Ferry.

Tous les rapports qui se succèdent sur la réforme de l’Etat soulignent cette tension grandissante entre des demandes qui évoluent et des moyens de plus en plus contraints. Autrement dit, comment faire mieux avec moins. Mieux pour répondre à l’évolution démographique, vieillissement de la population, métropolisation, mais aussi à l’avènement du numérique qui transforme le travail et la vie quotidienne. Avec moins parce que les finances publiques ont atteint un maximum en matière de prélèvement.

Le ras-le-bol fiscal est dans la rue et l’endettement de l’Etat atteint 100 % de son produit intérieur brut (PIB). Désormais, le seul remboursement de cette dette absorbe chaque année presque 50 milliards d’euros, soit 2 % de la richesse créée, le PIB.

Cinq missions

« L’Etat-providence est en faillite ! », assure Augustin de Romanet, PDG de Groupe ADP, ancien patron de la Caisse des dépôts et consignations. Pour lui, le niveau de la dette place le pays à la merci d’une hausse des taux ou d’un retournement économique qui rendrait la situation intenable. Et de souligner en regard le poids des dépenses publiques qui a dépassé 56 % du PIB en 2017 contre 47 % en moyenne dans la zone euro. La question du rôle de l’Etat est donc désormais indissociable de ses finances.

Comment s’y prendre ? Dans une étude fouillée parue en janvier, France Stratégie a choisi d’éclairer le débat en découpants es missions en cinq grandes catégories correspondant chacune à des dépenses particulières. Sa première mission consiste à redistribuer du revenu. Il prélève d’un côté par les impôts et taxes, et reverse sous forme de prestations sociales diverses (familiales, minima sociaux, chômage, congés maladie ou maternité…) et de retraites. Sa deuxième mission est de fournir des services sociaux (santé, éducation, aide aux personnes, loisirs). L’Etat assure aussi des services généraux (défense, police, justice, administration). Ensuite, et c’est moins connu, la puissance publique soutient fortement l’économie marchande (subventions, investissements). Enfin, dernier poste de dépense, le versement des intérêts de la dette.

« Il faut évaluer scientifiquement si le privé fait mieux que le public, en matière de santé, d’éducation ou de retraite »
Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis

Faut-il dans toutes ces missions en réduire certaines, en accroître d’autres, en déléguer au privé, en décentraliser vers les régions ? C’est toute la question qui agite économistes et politiques. « Quel est le service minimal qu’un Français doit attendre de l’Etat ?, s’interroge Jean Pisani-Ferry. Pour moi, c’est l’égalité d’accès et l’égalité des chances pour tous partout sur le territoire : en matière d’éducation, de santé, d’accès à l’information. Cela n’implique pas que le service public soit partout disponible sur place, mais que l’accès soit partout organisé. »

Oui mais comment faire ? La clé réside probablement dans l’évaluation. Se demander en permanence quelle est la bonne solution. « Il faut évaluer scientifiquement si le privé fait mieux que le public, en matière de santé, d’éducation ou de retraite », affirme Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis. L’évaluation périodique est donc indispensable avant toute décision de modification du périmètre de l’Etat, histoire d’éviter les biais idéologiques des aficionados du marché (l’Etat gère mal par définition) ou des fans de la puissance publique (les entreprises ne pensent qu’à s’enrichir à nos dépens). A-t-on procédé à des évaluations de cet ordre avant de décider la privatisation des autoroutes ou d’autres grandes infrastructures ?

Au-delà de ce travail préalable, le chantier de la réforme de l’Etat est immense. Le rapport Cap 2022 prône la rupture. Il propose de construire les services publics autour de l’usager, de généraliser la transparence, par exemple en rendant publiques les évaluations (des hôpitaux, des lycées…), d’externaliser plus de tâches vers des associations ou des entreprises et de donner plus de liberté aux agents de l’Etat. Ce dernier contrôlant le travail a posteriori.

C’est le modèle suédois. Des ministères ramassés qui pilotent des agences gouvernementales chargées de l’exécution de la politique et fonctionnant sur la base de budgets pluriannuels avec une grande autonomie. Un peu sur le mode de l’Agence France Trésor, qui gère la dette de l’Etat. Une révolution qui demande un certain courage. Et qui explique que le rapport Cap 2022, qui prône la transparence, ne soit pour l’instant pas sorti des limbes.


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