C’était il y a cinq ans, le 23 avril 2013. L’Hémicycle du Palais-Bourbon résonnait au son du mot « égalité » scandé par les députés de la gauche. L’Assemblée nationale venait d’adopter le projet de loi ouvrant le droit au mariage et à l’adoption aux couples de même sexe, après d’âpres et longs débats et une importante mobilisation de la droite, notamment catholique, opposée à l’adoption du texte.
Selon Irène Théry, sociologue du droit et de la famille, malgré cette violente opposition, il est désormais « admis que les couples homosexuels ont exactement les mêmes droits que les autres ».
Cinq ans après son adoption, le droit au mariage pour tous est-il pleinement entré dans les mœurs françaises ?
Irène Théry : Oui, incontestablement. Le droit au mariage pour tous incarne l’aboutissement d’une évolution majeure du rapport de la société à l’homosexualité. Autrefois, elle était considérée comme une transgression et une pathologie, et nous sommes peu à peu passés à l’idée qu’elle était une orientation sexuelle parfaitement normale, à laquelle il fallait faire sa place. La loi sur le pacs de 1998 avait déjà été une grande avancée : elle avait permis de redéfinir le couple en droit civil, instituant pour la première fois dans notre histoire le couple de même sexe.
La loi sur le mariage pour tous est allée encore plus loin en reconnaissant que la relation homosexuelle pouvait, en tant que relation de couple, s’intégrer à notre système familial et à notre conception de la parentalité. Elle a été un facteur extrêmement puissant d’intégration.
La légitimité des couples de même sexe, mariés ou non, est aujourd’hui beaucoup plus importante qu’avant cette loi. On voit des hommes politiques s’afficher, des célébrités… Il y a une plus grande visibilité de ces couples, qui existaient déjà, mais que la loi a rendus officiels. Aujourd’hui, qu’on choisisse l’union libre, le pacs, le mariage, il est admis que les couples homosexuels ont exactement les mêmes droits que les autres.
Le droit au mariage pour les couples homosexuels a pourtant été très combattu en 2013…
En effet, et c’est un paradoxe terrible pour les homosexuels : ils ont le sentiment que l’année de leur triomphe matrimonial et de leur intégration au cœur du pacte républicain a aussi été la pire de leur vie. Ce qu’on a vu se réveiller en 2013, c’est un secteur familialiste, traditionaliste, très religieux, qui s’était opposé de la même manière à toutes les grandes réformes des années 1970 : l’autorité parentale conjointe en 1970, l’égalité entre les enfants légitimes et naturels [hors mariage] en 1972, le divorce par consentement mutuel en 1975… A l’époque, ils hurlaient déjà à la fin de la civilisation.
Au moment du mariage pour tous, on s’est rendu compte que cette partie de l’opinion, qui ne s’était plus manifestée depuis le vote du pacs, n’avait jamais accepté toutes ces évolutions et était capable de se mobiliser de manière très organisée et puissante. En 2013, cette contestation à la loi a suscité une très nette flambée de l’homophobie, et il est difficile de savoir ce qu’il en est aujourd’hui.
Qu’est-ce qui explique la force qu’a eue cette mobilisation ?
La loi de 2013 allait bien au-delà du pacs, puisqu’elle touchait à une institution, le mariage, qui a un écho dans toutes les religions du Livre. Toutes allaient être amenées à se poser la question du lien entre le nouveau mariage civil et le mariage religieux, considéré comme étant par définition l’union d’un homme et d’une femme.
Cela a suscité beaucoup d’inquiétude dans ces milieux, où l’on s’est demandé si les fondements de l’union religieuse n’allaient pas être fragilisés par un mariage civil de même sexe. Sans compter que le mouvement a réussi à mobiliser au-delà de la sphère d’influence religieuse traditionnelle, car beaucoup de personnes, même chez les progressistes, ont eu peur d’un effacement de la distinction entre les sexes. Avec le temps, ils se sont aperçus que la loi n’avait fait qu’ajouter et n’avait rien supprimé.
Mais même si on a eu l’impression que la France était divisée en deux, je n’ai jamais cru à cette version. A l’époque, les enquêtes donnaient une grande majorité de Français favorables au mariage pour tous, et l’opposition a été, je crois, largement surévaluée.
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