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En proie à une fonte accélérée induite par le réchauffement climatique, le pergélisol arctique pourrait émettre des quantités inquiétantes de protoxyde d'azote, ou gaz hilarant, dans l'atmosphère. La planète ne risque pas de trouver cela amusant puisque c'est aussi un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.

La fonte du pergélisol (permafrost en anglais) arctique pourrait rejeter dans l'atmosphère jusqu'à douze fois plus de protoxyde d'azote que ce que l'on pensait, d'après une étude réalisée en Alaska par des scientifiques de Harvard et de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), parue dans le journal Atmospheric Chemistry and Physics. Connu du grand public pour son usage récréatif, le protoxyde d'azote (N2O), ou fameux gaz hilarant, est aussi le troisième gaz à effet de serre le plus préoccupant après le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane. Il est environ 300 fois plus efficace que le CO2 pour retenir la chaleur et sa présence dans la stratosphère conduit à la destruction de la couche d'ozone.

Les émissions de protoxyde d'azote sont en hausse dans le monde à cause des activités humaines, principalement l'agriculture (utilisation massive des engrais). Les sols, notamment dans les régions tropicales, en sont des sources naturelles de par les micro-organismes producteurs qui y vivent. La contribution du pergélisol, c'est-à-dire des sols gelés en permanence, était considérée comme négligeable, une affirmation que remet aujourd'hui en cause cette nouvelle étude.

Le saviez-vous ?

Le dioxyde de carbone peut subsister un siècle dans l’atmosphère, le méthane 12 ans, et le protoxyde d'azote jusqu'à 114 ans. 

Des niveaux inattendus de protoxyde d'azote

L'étude a démarré en 2013 lorsqu'une équipe de chercheurs s'est rendue dans le nord de l'Alaska, dans une région dénommée North Slope, au bord de l'océan Arctique, afin de mesurer les niveaux de gaz à effet de serre les plus surveillés au monde, le CO2 et le méthane, ainsi que de la vapeur d'eau. La détection du protoxyde d'azote s'est ajoutée en prime. Les données ont été collectées en plein été, durant le mois d'août 2013, sur une surface équivalente à 310 km² par un petit avion volant à une altitude d'à peine 50 mètres au-dessus du sol.

En un seul mois, les émissions atteignent le seuil annuel estimé

Les données ont ensuite été analysées par Jordan Wilkerson, chercheur à Harvard et premier auteur de l'étude. Elles ont livré des résultats surprenants et d'autant plus inquiétants. En un seul mois, les émissions de protoxyde d'azote atteignent le seuil annuel estimé. La moyenne journalière s'élève à 3,8 milligrammes de protoxyde d'azote émis par mètre carré, soit entre 0,04 et 0,09 gramme par mètre carré en un mois. « Nous ne savons pas à quel point [ces émissions] vont encore augmenter, déclare Jordan Wilkerson dans un communiqué. D'ailleurs, nous ignorions totalement qu'elles étaient importantes jusqu'à cette étude. »

Trajets effectués par avion en août 2013, dans le nord de l'Alaska, utilisés pour mesurer les niveaux de protoxyde d'azote émis par le pergélisol. La surface totale étudiée équivaut à 310 km². © Jordan Wilkerson et al., Atmospheric Chemistry and Physics, 2019

Un dangereux cercle vicieux

Les chercheurs soulignent cependant que ces résultats restent préliminaires et appellent à poursuivre les recherches. L'étude ne se base que sur des mesures réalisées pendant quelques jours (extrapolées à un mois) et sur 310 km², une parcelle relativement restreinte comparée à l'étendue globale du pergélisol, qui recouvre environ 24 % de l'hémisphère Nord.

Le pergélisol recouvre environ 24 % de l'hémisphère Nord

À ce jour, il s'agit toutefois de la plus grande surface étudiée dans le cadre d'une recherche sur les émissions de protoxyde d'azote par le pergélisol. D'autres méthodes pour mesurer les niveaux de gaz à effet de serre émis par ces sols (suivi sur le terrain ou bien prélèvement de carottes étudiées en laboratoire) ne dépassent pas 50 m², selon les chercheurs.

Le pergélisol désigne le sol de la toundra gelé pendant au moins deux années d'affilée. Outre les émissions de gaz à effet de serre, les conséquences de sa fonte incluent également des glissements de terrain (comme ici dans la Réserve nationale de Noatak en Alaska), l'effondrement des routes, le déracinement des arbres, etc. © NPS Climate Change Response, CC by 2.0


Toutes ces études aboutissent toutefois à la même conclusion, à savoir que le pergélisol émet beaucoup plus de protoxyde d'azote que ce que l'on soupçonnait. Dans un contexte de réchauffement climatique et sachant que les températures en Arctique augmentent deux fois plus rapidement que dans le reste du globe, les taux de protoxyde d'azote sont susceptibles de s'accroître, aggravant l'effet de serre et accélérant par conséquent la fonte du pergélisol, en un cercle vicieux. Une lueur d'espoir vient de ce que des plantes se développent sur les terres libérées par la glace. Les émissions pourraient être atténuées par l'augmentation de la couverture végétale, stipulent les chercheurs, mais reste à savoir en quelle proportion.

Ce qu'il faut retenir
  • Le protoxyde d'azote est un gaz à effet de serre et un destructeur de la couche d'ozone souvent oublié par rapport au dioxyde de carbone et au méthane.
  • La fonte du pergélisol est susceptible de libérer beaucoup plus de protoxyde d'azote que prévu et d'accélérer le réchauffement climatique.
  • Les émissions de protoxyde d'azote par le pergélisol en Alaska atteignent en un mois le niveau attendu en un an, d'après une étude.

Lire la suite : La fonte du pergélisol menace de libérer massivement un puissant gaz à effet de serre


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