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Pour contrer la montée des régimes populistes, il serait temps de « remoraliser » la mondialisation et d’y inclure les peuples.

Le Cercle des économistes. En mai 2017, le V-Dem Institute, un institut de recherche international basé en Suède, avait placé la France en tête des démocraties libérales. En compilant plus de 300 indicateurs à travers 174 pays, il avait distingué l’Hexagone pour la stabilité de ses institutions, la régularité de ses élections, la présence de contrepoids efficaces à l’exécutif et l’existence de puissants mécanismes de redistribution permettant de réduire les inégalités.

Moins de deux ans plus tard, toute une partie de la population aux fins de mois difficiles –caristes, aides-soignantes, artisans, intérimaires, chauffeurs routiers, caissières, ouvriers, femmes de ménage, retraités, petits patrons – a investi les ronds-points pour dire « stop » à la hausse des taxes et revendiquer le droit d’être reconnue, elle qui, depuis des années, se vit, au sein de la République française, comme « invisible ».

Epidémie

La révolte sociale se double d’un sérieux coup de semonce démocratique : le système représentatif a failli, il est mis en cause. Du grand débat national lancé par Emmanuel Macron en janvier remonte une forte aspiration à plus de justice sur fond de critiques des élus perçus comme hors-sol et trop rémunérés. « L’esprit public est devenu délétère », constate les larmes aux yeux Alain Juppé au moment de quitter la mairie de Bordeaux pour rejoindre le Conseil constitutionnel. En ce début d’année 2019, la France n’a plus rien du modèle démocratique vanté par le V-Dem Institute. Elle traverse un épisode populiste qui l’oblige à une sérieuse introspection. Elle n’est pas la seule. 

Le populisme ronge les démocraties libérales comme une épidémie. Il se nourrit de la contestation de la mondialisation libérale accusée de creuser les inégalités et de laminer les classes moyennes. Il prospère aussi bien dans les pays émergents que dans les anciens pays du bloc de l’Est ou dans les vieilles démocraties comme les Etats-Unis, fragilisant les principes sur lesquels elles s’étaient constituées. « Pour la première fois, la plus ancienne et puissante démocratie du monde a élu un président qui n’hésite pas à exprimer publiquement son dédain pour les principes constitutionnels les plus élémentaires », s’alarme Yascha Mounk, professeur de théorie politique à Harvard (Massachusetts), dans son livre Le Peuple contre la démocratie (L’Observatoire, 2018).

Pour la plupart des chercheurs, le populisme ne peut être considéré comme une remise en cause de la démocratie. Il s’en réclame, au contraire, pleinement

Le phénomène est insidieux car, pour la plupart des chercheurs, le populisme ne peut être considéré comme une remise en cause de la démocratie. Il s’en réclame, au contraire, pleinement : profitant d’un contexte favorable, le « leader peuple » utilise le suffrage universel pour rétablir, à travers sa personne, la souveraineté populaire dans un combat dénonciateur de l’élite « corrompue » qui aurait capté le pouvoir à son seul profit.

Autour de ce schéma se greffent de multiples variantes : le populisme de droite aura tendance à associer l’autoritarisme et l’ethnicisme, le populisme de gauche à mettre l’accent sur les inégalités sociales mais, dans les deux cas, l’adversaire déclaré est la démocratie libérale. En s’arrogeant le pouvoir de décider qui est le peuple et quels sont ses ennemis, en postulant que rien ne doit limiter sa volonté, l’idéologie populiste rejette les notions de pluralisme et de droits des minorités et fait fi des garanties institutionnelles qui avaient été érigées pour les protéger. Aujourd’hui, « les quatre démocraties les plus peuplées, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie et les Etats-Unis, sont gouvernées par des leaders qui proclament être la représentation exclusive du peuple, et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux y sont considérés comme des traîtres », souligne Yascha Mounk.

« Fin du cycle néolibéral »

Cette dissociation entre démocratie et libéralisme est le grand phénomène politique du moment. Elle donne naissance à de nouvelles formes de démocraties dites « illibérales » à l’instar de ce que connaît la Hongrie depuis l’élection de Viktor Orban en 2010. Dans les cas extrêmes, on peut même assister à la rupture du régime démocratique comme au Pérou où, à la fin des années 1990, le populiste Alberto Fujimori s’était appuyé sur l’armée pour poursuivre son mandat. Ce que tente aujourd’hui Nicolas Maduro au Venezuela y ressemble beaucoup.

« Pour la première fois en 2017, le nombre de régimes démocratiques a légèrement reflué », s’est alarmé Christine Lagarde, la patronne du Fonds monétaire international (FMI), dans une interview aux Echos (9 novembre 2018), en faisant un lien direct avec « le tassement du niveau de vie des classes moyennes et une aggravation des inégalités, surtout aux Etats-Unis et en Chine, mais aussi en Allemagne». L’inquiétude est telle que, dans les forums internationaux, une nouvelle notion vient de faire son apparition : « l’inclusion des peuples » dans la mondialisation. « Nous sommes à la fin du cycle néolibéral », pronostique l’historien et philosophe Marcel Gauchet car, dit-il, « on ne peut pas fonctionner dans un système de compétition aussi intense et avec des joueurs qui ne sont pas tous d’une loyauté parfaite sans un minimum de cohérence politique visant à préserver une société relativement unifiée, ce qui est le propre des démocraties ».

Réarmer le citoyen

Le Forum économique mondial de Davos (Suisse), longtemps considéré comme le temple de « la mondialisation heureuse », commence tout juste à en prendre conscience. Début janvier, Klaus Schwab, le fondateur du forum, a appelé à une « remoralisation de la mondialisation » mais sans préciser quels outils il mettait derrière ce concept. Et pour cause : « Comment faire de l’humanité un sujet pertinent de la démocratie, alors que seulement 1 % des ressources du monde servent à assurer les droits élémentaires de l’homme et seulement 1 % du budget européen est consacré à la citoyenneté ? », s’interroge l’historien Pierre Rosanvallon qui, aujourd’hui, consacre toutes ses recherches au populisme.

Ouvrage après ouvrage, il insiste sur la nécessité de lutter contre « la fatigue des démocraties » en réarmant le citoyen. Les classes populaires se sentent ignorées ? Il faut trouver une instance où elles puissent raconter leur vie et ce faisant, compter. Les parlementaires sont discrédités ? Ils doivent accepter que d’autres institutions accomplissent le travail de délibération et de contrôle qu’ils n’effectuent plus qu’imparfaitement. Le citoyen se sent trahi ou mal représenté ? Il doit pouvoir exercer entre deux élections un pouvoir de contrôle, de surveillance et pourquoi pas de proposition. Pour survivre, la démocratie doit se réinventer.


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