Il était un peu plus de 14 heures, mercredi 4 avril, quand l’ancien chef d’Etat a quitté son appartement de Sao Bernardo do Campo, ville industrielle de la banlieue de Sao Paulo au Brésil. De ce logement sans charme, typique de la petite bourgeoisie pauliste qu’il occupe depuis plus de vingt ans, Luiz Inacio Lula da Silva, 72 ans, a rejoint le syndicat des métallos. Lieu où, pour l’ancien tourneur de l’usine Volkswagen, tout avait commencé, et où tout s’est brutalement arrêté.
Après plus de dix heures de débats à la Cour suprême, le « jugement du siècle » brésilien est tombé. Lula, président de 2003 à 2010, « père du peuple », figure de la lutte ouvrière sous la dictature, condamné en janvier à plus de douze ans de détention pour corruption, n’échappera pas à la prison.Par six voix contre cinq, les juges lui ont refusé un habeas corpus – le droit de ne pas être emprisonné tant que tous les recours judiciaires n’ont pas été épuisés. Longtemps repoussée, son incarcération pourrait, à moins d’une ultime surprise, avoir lieu autour du 10 avril. Défait, Lula, habitué aux bravades n’a, cette fois, pas pris la parole.
Au syndicat des métallos, devant la télévision, Sidinci Ebraça, ouvrier métallurgiste chez Mercedes à Sao Benardo do Campo, a cru jusqu’à la dernière minute au sauvetage de son héros avant d’être submergé par le chagrin et la colère. « Avant on ne parlait que de la crise et du FMI [Fonds monétaire international]. Lula a tout changé, les enfants pauvres ont pu aller à l’université. Dans les villages reculés, l’eau courante, la lumière sont arrivées », raconte-t-il. « Lula a été victime d’un tribunal d’exception », ajoute, à ses côtés, Hajj Mangolin, vendeur de livres.
Un pays déchiré
La Cour suprême s’est défendue de juger« le legs économique et social » d’un homme hier classé parmi les plus grands leadeurs politiques au monde. Pourtant, ce n’était pas seulement le sort de Lula qui se jouait, mercredi, à Brasilia mais aussi celui d’un pays « qui ne regarde ni ses pauvres ni ses favelas », a reconnu le juge Dias Toffoli, favorable à l’habeas corpus.
Jamais une décision n’aura autant déchiré le Brésil, opposant ceux qui continuent de vénérer l’ancien chef d’Etat comme un demi-dieu à ceux qui le considèrent comme le pire bandit de l’humanité, responsable du saccage des comptes publics et de la perpétuelle stagnation du géant d’Amérique latine. L’ambiance, électrique, est montée d’un cran quand le chef d’état-major des armées a fait part, la veille du vote, de sa répulsion envers « l’impunité » rappelant que l’« armée restait attentive à sa mission institutionnelle ».
« La politique est-elle devenue folle ? La justice a-t-elle perdu la boussole ? La société est-elle tombée malade ? Sommes-nous tous drogués au poison de l’irrationalité ? », écrivait, le 3 avril sur le site El Pais Brasil, le journaliste Juan Arias, ajoutant, perplexe : « Comment comprendre qu’un personnage messianique comme l’ex-président Lula, qui fit la fierté de son pays, se soit soudain transformé en un homme à abattre, capable de déchaîner les pires instincts ? »
Difficile, de fait, d’imaginer que Lula ait troqué son slogan « paix et amour » de 2002 pour un discours grognard envers « les élites », les « juges » ou « les marchés ». Que cet homme de la conciliation, qui se vantait d’avoir enrichi les banquiers, devienne la bête noire des milieux d’affaires. Que cette haine ait conduit à tirer sur sa caravane qui sillonnait, en mars, le pays en prévision de l’élection présidentielle d’octobre.
« Lula avait su séduire une partie de la petite bourgeoisie dont la vie s’est améliorée lors de son premier mandat mais, celle-ci a commencé à s’éloigner au moment du scandale du “mensalao” », analyse Daniel Pereira Andrade, sociologue à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo. Cette affaire a révélé, en 2005, un système crapuleux consistant à acheter les voix des parlementaires, donnant au Parti des travailleurs (PT, gauche) l’image d’un « parti comme les autres ». C’est-à-dire, corrompu.