Treize départements français souhaitent expérimenter à partir de 2019 un revenu de base accordé sous conditions de ressources pour lutter contre la pauvreté. Ils doivent pour cela obtenir le feu vert du gouvernement. Et ce n’est pas gagné.
Benoît Hamon avait popularisé le concept de revenu universel lors de la campagne présidentielle. Mais depuis la victoire d’Emmanuel Macron et la disparition médiatique de l’ancien candidat socialiste, plus grand monde n’en parlait. L’idée fait aujourd’hui son retour mais sous une forme différente. Treize départements socialistes ont annoncé, mercredi 6 juin, vouloir expérimenter un revenu de base pour lutter contre la pauvreté.
"Nous faisons le constat que nous ne sommes plus dans une société du plein emploi et que beaucoup de personnes restent sur le bord de la route, affirme le président du Conseil départemental de la Gironde, Jean-Luc Gleize, à l’origine de cette démarche, contacté par France 24. Le taux de pauvreté en France est resté stable depuis les années 1970, alors que le PIB a nettement augmenté. Clairement, la protection sociale telle que nous la pratiquons avec le RSA trouve ses limites, alors pourquoi ne pas expérimenter autre chose ?"
Contrairement au revenu universel porté par Benoît Hamon qui voulait en faire bénéficier l’ensemble de la population de plus de 18 ans, le revenu de base proposé par ces treize départements serait soumis à des conditions de ressources. Son montant, par ailleurs, ne serait pas fixe, mais dégressif en fonction des revenus. Principale cible du dispositif : les 34 % de personnes éligibles au Revenu de solidarité active (RSA) qui n'en font pas la demande par manque d'information, par honte, ou parce que les démarches administratives leur semblent trop compliquées.
"Nous sommes clairement dans une philosophie différente, insiste Jean-Luc Gleize. Le revenu que nous proposons serait dégressif en fonction des revenus car je ne conçois pas de verser un revenu de base à Nadine de Rothschild ou enfants de Liliane Bettencourt. En revanche, ceux qui n’ont pas de revenus ou qui ont des revenus faibles, nous pouvons leur permettre de mieux s’en sortir."
Coût estimé de l’expérimentation entre 2,8 et 7,5 millions d’euros par an
Quel montant sera accordé aux bénéficiaires ? Les départements à l’origine du projet, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, ont demandé à l’Institut des politiques publiques (IPP) de plancher sur la question pour proposer différents scénarios. Quatre sont encore à l’étude avec deux paramètres pouvant être modifiés : d’un côté un revenu de base se substituant au RSA et à la prime d’activité et incluant, ou non, les aides au logement ; de l’autre un revenu de base accordé à partir de 21 ans ou dès 18 ans. Le montant de l’aide varie donc en fonction du scénario et de la situation de chaque bénéficiaire. En incluant les aides au logement, il serait de 725 euros mensuels pour une personne seule célibataire et locataire, et de 530 euros mensuels pour un propriétaire.
Quant au coût de cette expérimentation, il serait, suivant les paramètres retenus, de 2,8 à 7,5 millions d'euros par an pour 20 000 personnes réparties dans les treize départements, selon le rapport de l’IPP.
Les treize présidents de départements souhaitant mener cette expérimentation en 2019 doivent désormais convaincre le gouvernement de les y autoriser. Ils espèrent rencontrer le Premier ministre Édouard Philippe prochainement et présenter à l’automne un "pré-projet de loi" – toute expérimentation locale d’une politique publique ne faisant pas partie des attributions légales du territoire concerné doit en effet être votée par le Parlement.
Leur tâche s’annonce compliquée. D’abord parce qu’ils demandent à l’État de financer un fonds national dédié à cette expérimentation comme cela a déjà été fait, par exemple, pour le projet "Territoires zéro chômeur de longue durée". Mais aussi et surtout parce qu’ils risquent de se retrouver confrontés à des positions idéologiques.
Convaincre qu’il ne s’agit pas d’une "initiative de 'gaucho-soixante-huitards'"
Les déclarations du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, sont en ce sens éloquentes. "On a mis au cœur du projet politique d'Emmanuel Macron le travail", a-t-il dit, jeudi 7 juin, sur France Inter. "Moi, je ne considère pas que le minimum de base soit la bonne réponse parce que philosophiquement je préfère avoir une société fondée aussi sur la valeur travail."
"Mais je ne m’oppose pas du tout à la valeur travail", s’insurge Jean-Luc Gleize, qui regrette que la réaction de Benjamin Griveaux soit dictée par une position de principe. "Personnellement, je suis incapable de dire si le revenu de base est une bonne idée et c’est précisément pour cela que je souhaite pouvoir le tester, explique-t-il. Nous ne sommes pas du tout dans un dogme. Nous demandons le droit d’expérimenter pour pouvoir juger."
Le président du conseil départemental de la Gironde travaille sur cette question depuis deux ans, mais la proposition de revenu universel faite en 2017 par Benoît Hamon est venue perturber le débat.
"Notre problème c’est que le revenu de base est systématiquement assimilé à la proposition de Benoît Hamon. Donc nous devons faire de la pédagogie pour que notre démarche ne soit pas perçue comme une initiative de 'gaucho-soixante-huitards'", analyse Jean-Luc Gleize, qui rappelle que des expérimentations sont déjà menées dans plusieurs pays.
Pour éviter toute confusion avec le revenu universel, les présidents des treize départements réfléchissent à un nouveau nom pour leur revenu de base. Ils espèrent également convaincre des départements de droite de les rejoindre dans leur initiative. "Il ne s’agit pas d’un sujet partisan, mais d’un sujet de société", affirme Jean-Luc Gleize.
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