L’alimentation : un atout de taille négligé dans la guerre contre le Covid-19

Santé
The Conversation

La pandémie aurait été une bonne occasion de rappeler les bienfaits d'une alimentation saine pour notre système immunitaire. Pearl PhotoPix / Shutterstock

Michel Duru, Inrae et Anthony Fardet, Inrae

Y a-t-il un angle mort dans les politiques publiques de lutte contre le Covid-19 ? Depuis deux ans, des mesures pour freiner la circulation du virus et limiter son impact sanitaire (confinement, gestes barrières et vaccins) ont été mises en avant. Par contre, malgré une abondante littérature scientifique, le rôle de l’alimentation a été sous-médiatisé.

C’est sans doute une occasion manquée. Sensibiliser le grand public à cette problématique permettrait non seulement de réduire les risques de maladies chroniques à moyen terme, mais aussi les risques à plus long terme de formes graves de certaines maladies infectieuses associées à ces comorbidités.

Dès mai 2020, nous rappelions l’intérêt de mieux s’alimenter pour prévenir certains risques d’infection et de complications. Nous indiquions que plusieurs facteurs de comorbidité du Covid (obésité, diabète, hypertension…) avaient souvent comme origine une dysbiose intestinale, un déséquilibre dans la biodiversité de notre flore, liée à la « malbouffe ».

Un problème ancien. Malgré des politiques sanitaires dédiées, le nombre de personnes atteintes de ces dérégulations métaboliques a presque doublé entre 1997 et 2015 pour atteindre respectivement 17, 7,1, et 30,9 % de la population adulte française.

De l’infection à la maladie

Lors de l’infection virale, le SARS-CoV-2 vient se fixer sur nos cellules (notamment pulmonaires et intestinales) via leur récepteur ACE-2. Cela a pour effet de suractiver le système hormonal dit « rénine-angiotensine » (SRA), qui contrôle d’une part l’immunité « innée » correspondant à la réponse immunitaire non spécifique « immédiate » aux agents pathogènes, et d’autre part le microbiote intestinal.

Une telle suractivation du SRA est délétère pour notre santé car elle induit un stress oxydatif, voire l’orage cytokinique observé lors des formes graves de Covid-19.

La vitamine D est, entre autres, connue pour renforcer la production de cytokines spécifiques, des protéines messagères en l’occurrence dédiées à l’inhibition de l’hyperinflammation systémique aiguë. Elle induit aussi la production de molécules antimicrobiennes actives sur les virus. Or il est estimé que 80 % des Français présentent des carences en hiver.

Quel rôle du microbiote ?

Notre microbiote est un facteur clé de notre santé. En effet, humains et microbes ont établi une association symbiotique au fil du temps, dont les perturbations sont à l’origine de maladies inflammatoires à médiation immunitaire (maladies cardiovasculaires, diabètes, certains cancers…).

Le microbiote intestinal, en participant à la régulation des récepteurs ACE-2 peut jouer un rôle dans la gravité du SARS-CoV-2. Il peut influencer la progression des infections virales respiratoires par le biais des métabolites et de la réponse immunitaire.

Lorsque l’on développe un Covid, il s’avère que les bactéries à fonction pro-inflammatoire vont prendre le pas sur celles ayant une fonction anti-inflammatoire. Un microbiote intestinal sain et équilibré pourrait aider à prévenir les réactions immunitaires pro-inflammatoires dans les poumons et autres organes vitaux infectés. Et ainsi permettre de lutter plus efficacement contre les attaques virales.

Dans le cadre de cette maladie, certains facteurs sont apparus comme majeurs pour le développement des complications : l’âge mais aussi, nous l’avons déjà indiqué, la présence de certaines maladies chroniques et, plus généralement, d’une dysbiose intestinale quel que soit l’âge.

Ainsi, l’obésité et ses comorbidités induisent une inflammation chronique de bas grade et une augmentation des récepteurs de l’enzyme ACE-2 présents dans les poumons, l’intestin et les reins. Ces altérations et inflammations qui se chevauchent, associées à la tempête de cytokines induite par le Covid, augmentent le risque de complications chez ces patients : insuffisance respiratoire, choc septique et finalement mortalité accrue.

Les effets anti-inflammatoires de l’alimentation

L’alimentation de type occidental est pauvre en fibres, et riche en aliments ultra-transformés et en produits animaux issus d’une alimentation à base de céréales et tourteaux de soja. Ces caractéristiques favorisent l’inflammation qui augmente les risques de maladies chroniques et de sensibilité aux maladies infectieuses. Un mauvais état nutritionnel est associé à une inflammation et à un stress oxydatif, qui à leur tour peuvent avoir un impact sur le système immunitaire.

Mais on connaît des constituants alimentaires à capacité anti-inflammatoire et antioxydante : la vitamine D précédemment citée, les vitamines C et E et des composés phytochimiques tels que les caroténoïdes et les polyphénols. Il en est de même d’une insuffisance en vitamines A, B6, B12, en oligo-éléments, dont le zinc, le fer, le sélénium, le magnésium et cuivre, et tout particulièrement en acides gras oméga-3 qui jouent un rôle important sur le système immunitaire.

Il a également été démontré que les fibres alimentaires fermentées par le microbiote intestinal en acides gras à chaîne courte produisent des effets anti-inflammatoires. Enfin une consommation trop importante de produits ultra-transformés (35 % des calories en France) accroît le stress oxydant.

L’impact sur l’infection

Des études épidémiologiques ont mis en évidence les composantes de l’alimentation qui réduisent ou amplifient les risques d’infection et de formes graves du Covid.

Chez 2884 agents de santé de première ligne de six pays (France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni, États-Unis), des personnes ayant des régimes à base de plantes (plus riches en légumes, légumineuses et noix), et plus faibles en viandes rouges et transformées, avaient respectivement 73 % et 59 % de risques en moins de Covid-19 modérée à grave.

De même, les personnes ayant une alimentation équilibrée et une consommation quotidienne moyenne de 500 g (et plus) de légumes et de fruits et 10 g de noix (et plus) avaient un risque de Covid-19 inférieur de 86 % à celles qui en consommaient de plus faibles quantités. Des apports alimentaires plus élevés en fruits et légumes et, systématiquement, en vitamine C, en folate, en vitamine K et en fibres ont été associés à une sensibilité plus faible à l’infection par le SARS-CoV-2. La sévérité de la maladie est aussi réduite avec la consommation de légumineuses, de céréales complètes.

Plus généralement, l’adhésion à un régime méditerranéen (dont une caractéristique est une faible consommation de calories provenant d’aliments ultra-transformés) était négativement associée à la fois au pourcentage de personnes infectées et décédées de Covid-19. Tel a été le cas dans 17 régions d’Espagne et dans 23 pays après ajustement des facteurs de bien-être et d’inactivité physique.

Ainsi, au-delà de son rôle établi dans la prévention des maladies non transmissibles, l’alimentation pourrait donc aussi contribuer à prévenir certaines maladies infectieuses comme le Covid. Or, par rapport aux composantes les plus citées à cette fin, les Français ont un régime déficitaire en fruits et légumes, en fibres et oméga-3 (pour 95 % des Français), et comprenant une part trop importante d’aliments ultra-transformés.

Un nécessaire changement de paradigme

Un régime favorable à la santé du microbiote nécessite de consommer plus de légumineuses et de céréales complètes, ainsi qu’une grande variété de fruits et légumes. Réduire la consommation d’aliments ultra-transformés, tout en privilégiant des produits à teneur résiduelle réduite en pesticides, est complémentaire.

En résumé, il s’agit d’une alimentation respectant la règle des « 3V » : plus Vrai (moins de produits ultra-transformés), plus Végétalisé et plus Varié.

Il convient donc de sensibiliser tous les acteurs du système alimentaire au fait que la diète moyenne actuelle ne permet pas à notre microbiote de jouer un rôle optimal en santé. Les politiques publiques devraient ainsi davantage inciter les consommateurs à changer leurs préférences. Ce changement de paradigme implique également un changement dans l’agriculture et les procédés de transformation des aliments.

Les bénéfices d’une vision holistique de la santé

Le régime alimentaire courant dans les pays occidentaux accroît le risque de développer des maladies chroniques (comorbidités) et nous rend plus vulnérables aux maladies infectieuses, on l’a dit. C’est pourquoi le traitement de la pandémie, tant dans les politiques publiques que dans l’espace médiatique, est tronqué, se focalisant essentiellement sur les effets en aval avec une approche trop réductionniste plutôt que sur les causes multifactorielles en amont avec une approche plus holistique.

D’une part, il empêche la responsabilisation des acteurs du système alimentaire et des consommateurs, qui pourraient participer à la mise en place d’une alimentation préventive plus durable. Ce qui permettrait pourtant de lutter contre l’échec des politiques visant à réduire les risques de maladies chroniques.

D’autre part, il nous prépare mal aux risques futurs. En effet, selon l’OMS, l’apparition de maladies infectieuses, qui était de l’ordre d’une tous les 15 ans dans les années 1970, est désormais d’une à cinq par an, en intégrant les maladies issues de la résistance aux antibiotiques.

Ne sensibiliser le public ni aux principaux facteurs de ces zoonoses (l’effondrement de la biodiversité en lien avec la déforestation notamment) ni aux conséquences de nos modes de vie (via la « malbouffe » comme nous le développons) nous rend plus vulnérables. Cela génère en outre des coûts cachés payés par les finances publiques d’aujourd’hui – dont le niveau peut atteindre 85 et 100 % du coût de l’alimentation en Europe – mais aussi de demain.

Michel Duru, Directeur de recherche, UMR AGIR (Agroécologie, innovations et territoires), Inrae et Anthony Fardet, Chargé de recherche, UMR 1019 - Unité de Nutrition humaine,?Université de Clermont-Auvergne, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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