Jouer avec des poupées ultraminces influence-t-il l’estime de soi des petites filles ?
Lynda Boothroyd, Durham UniversityLes poupées font partie des cultures humaines depuis des millénaires. Les plus anciennes qui sont connues, en bois, datent de l’an 2000 avant Jésus-Christ. Aujourd’hui, les poupées mannequins font partie des jouets d’enfants les plus plébiscités, Barbie étant l’un des modèles les plus vendus de tous les temps.
Cependant, certaines de ces poupées mannequins les plus populaires ont un corps d’une minceur telle qu’elle ne pourrait jamais être atteinte ou maintenue par un être humain dans la vie réelle.
On sait que voir défiler des images de femmes minces peut altérer la satisfaction qu’éprouvent des spectatrices pour leur apparence et renforcer la croyance que les corps minces seraient « parfaits » – c’est ce que l’on appelle internaliser l’idéal de minceur. Faut-il donc s’inquiéter des potentiels effets des poupées ultraminces sur les enfants dont l’image de soi est encore en construction ?
Dans une étude publiée par la revue Body Image, mes collègues et moi-même avons trouvé des preuves que les poupées ultraminces affectent les normes et idéaux corporels qu’elles se fixent. De plus, le fait de jouer ensuite avec des poupées d’apparence plus réaliste ne corrige pas ces effets – du moins pendant les courtes périodes de notre étude.
La fin de l’enfance et la préadolescence sont des étapes clés pour la prise de conscience de notre propre corps et de celui des autres, et c’est au cours de cette période que les filles commencent à manifester des préjugés contre les graisses, à intérioriser un idéal de minceur et à se préoccuper de leur apparence.
Grandir avec ces influences pourrait avoir un impact sérieux sur leur santé mentale et physique future. Être insatisfait ou insatisfaite de son corps et internaliser un idéal de minceur contribuent au développement de troubles de l’alimentation, à la dépression et au manque d’exercice.
Les études portant sur l’influence des poupées ultraminces sur les jeunes filles ont donné des résultats mitigés. Parfois, elles ont montré que les filles qui jouaient avec ces poupées souhaitaient avoir elles-mêmes un corps plus mince. D’autres études n’ont pas montré d’effet sur l’estime de soi, tout en soulignant néanmoins que cela provoquait l’intériorisation d’un idéal de minceur.
Jouer avec des poupées ultraminces peut également avoir des implications socioculturelles et psychologiques. Dans une étude, les filles qui jouaient avec ces poupées – quelle que soit la façon dont la poupée était habillée – semblaient s’imaginer moins de possibilités de carrière que celles qui avaient joué avec des jouets sans ressemblance humaine, ou dans des groupes de garçons.
Des styles de poupées plus ou moins réalistes
Constatant la nécessité d’approfondir ce sujet, nous avons mené deux expériences. La première visait à déterminer ce que changeait le fait de jouer avec des poupées ultraminces plutôt qu’avec des poupées aux allures plus réalistes comme Dora et Lottie. La seconde visait à déterminer si les effets étaient renversés quand les petites filles jouaient ensuite avec ces autres poupées, plus « réalistes » ou d’autres jouets.
Il est important de noter que nos études ont comporté des « tests de référence » : nous avons évalué les idéaux des enfants en matière de mensurations avant et après qu’ils ont joué avec les poupées. Nous avons demandé aux filles comment elles jugeaient leur propre corps, ce que serait leur corps idéal aujourd’hui puis à l’âge adulte.
Lors de la première expérience, 31 fillettes âgées de 5 à 9 ans ont joué pendant cinq minutes avec des poupées ultraminces ou des poupées réalistes. Nous avons constaté que les filles qui jouaient avec des poupées ultraminces étaient moins satisfaites de leur corps et que les corps idéaux selon elles étaient significativement plus minces à la fin de la session qu’au début.
Celles qui avaient des poupées aux apparences plus réalistes se sont montrées plus satisfaites de leur propre apparence et leurs définitions du corps idéal ne changeaient pas. Ces résultats suggèrent qu’une courte période de jeu avec des poupées ultraminces peut avoir un impact sur les idéaux des jeunes filles et leur bien-être.
Des représentations intériorisées par le jeu
Dans notre deuxième expérience, nous avons voulu vérifier si le fait de jouer avec des poupées plus réalistes ou d’autres jouets comme de petites voitures pouvait compenser les effets négatifs causés par le fait de jouer avec des poupées ultraminces.
Dans le cadre de cette expérience, 46 fillettes âgées de 5 à 10 ans ont participé à deux sessions de jeu de trois minutes. Lors de la première, elles ont toutes joué avec des poupées ultraminces. Lors de la seconde, elles ont joué soit à nouveau avec des poupées ultraminces, soit avec des poupées plus réalistes, soit avec des voitures arborant des visages.
Les résultats ont reproduit l’une des principales conclusions de la première expérience. Le moi idéal des participantes semblait s’être considérablement aminci après la première séance de jeu. Mais, lors de la deuxième séance, il n’y a pas eu d’évolution significative de leurs représentations, quels que soient les jouets avec lesquels elles ont joué.
Cela suggère qu’une fois amorcé un changement de préférences pour un corps plus mince, jouer avec des poupées plus réalistes ou d’autres jouets ne peut le « réparer » dans l’immédiat.
Mes collègues et moi-même avons émis l’hypothèse que cette modification apparente des préférences pouvait résulter de plusieurs mécanismes psychologiques. L’un d’entre eux consiste à intérioriser les messages positifs que les poupées ultraminces créent autour de leurs mensurations. Par ailleurs, il existe des effets d’exposition visuelle plus « simples », par lesquels notre cerveau s’adapte à une nouvelle « norme » corporelle en se fondant sur ce qui est perçu.
Des recherches antérieures ont montré que ces deux mécanismes peuvent fonctionner de pair, ce qui suggère que les poupées ultraminces peuvent agir sur les représentations des jeunes filles en alliant des éléments culturels et visuels. Combinées aux recherches antérieures, ces études confirment le risque potentiel que ces poupées mannequins représentent pour l’image de soi des filles.
Si les poupées ne sont pas la seule source d’influence à laquelle les filles sont exposées – la télévision, les films, les médias sociaux, leurs parents et leurs pairs jouent également un rôle important – réduire leur exposition globale aux images biaisées d’un idéal corporel peut les aider à se forger des représentations plus positives.
Les parents et éducateurs peuvent aider les jeunes filles à se sentir plus à l’aise avec leur image et leur apprendre à aimer leur corps en montrant eux-mêmes l’exemple de personnes sereines face à leurs apparences, mais ils peuvent aussi réfléchir aux jouets et aux médias qu’elles proposent à leurs enfants.
Lynda Boothroyd, Professor in Psychology, Durham University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.