C'est un établissement pour personnes âgées comme tant d'autres. Un ensemble de bâtiments modernes et proprets, nichés dans un parc arboré. Pas une de ces maisons de retraite «de l'horreur» dénoncées à intervalles réguliers dans les médias. Dans les couloirs aseptisés de cet Ehpad public de la région parisienne, ce que l'on a appelé la «maltraitance institutionnelle» ne se cache pas derrière des portes closes. Le sentiment d'abandon des résidents saute aux yeux. «Madame, j'ai mal, j'ai mal», lance au passage une vieille dame en fauteuil roulant, attablée dans la salle à manger d'un étage qui accueille 27 personnes âgées dépendantes. Son appel s'éteint dans le silence. Les deux aides-soignantes sont trop occupées. Quant à l'infirmière, elle doit gérer deux étages. L'écrasante majorité des résidents ne peut se lever, se laver, s'habiller ou manger sans aide. Une situation banale en Ehpad où la durée moyenne de séjour, et de vie des résidents, n'excède pas deux ans et demi. Dans l'ascenseur, le personnel a affiché des appels à la grève pour le 30 janvier et la pétition «Dignité des personnes âgées, des moyens pour nos Ehpad!», lancée par le médecin urgentiste Patrick Pelloux, qui a déjà recueilli près de 400.000 signatures.
«C'est moche, ici. Je ne souhaite à personne d'être là», lâche spontanément une autre résidente, postée devant sa chambre. Sa voisine, Antoinette*, affiche vaillamment ses 98 ans et accueille ses visiteurs d'un large sourire. Boucles d'oreille en perle, col roulé gris, coiffure impeccable, elle fait partie des résidents qui souffrent le moins du manque de personnel car elle peut encore passer de son fauteuil roulant à un déambulateur et faire sa toilette seule. Dans sa chambre de 20 mètres carrés au lino jaune, elle a apporté une commode en bois de rose, d'antiques photos, mais, surtout, elle reçoit des visites de trois petites-nièces au moins deux fois par semaine. Trop fragile pour rester seule chez elle, elle débourse cependant 2500 euros par mois depuis bientôt cinq ans pour ce logement. De quoi engloutir ses 280 euros d'allocation personnalisée d'autonomie (APA) mensuelle, toute sa retraite et ses économies.
Une odeur âcre flotte dans l'air. Les résidents ont été changés dans la matinée. Pas Antoinette. À son arrivée, le personnel lui a d'emblée mis des protections urinaires alors qu'elle n'en avait pas besoin. «Nous avons bataillé pour qu'ils arrêtent car sinon elle serait devenue incontinente en quelques mois. On laisse sombrer les personnes âgées dans la dépendance au lieu de les aider à se maintenir», soupire Marianne, une de ses nièces. Un jour, elle a constaté qu'Antoinette souffrait d'une légère blessure à la tête. Une intérimaire avait voulu la changer la nuit contre son gré. Leur échange a visiblement mal tourné mais Marianne n'a jamais pu savoir ce qui était arrivé. «On a l'impression que personne de l'extérieur ne doit savoir ce qui se passe entre ces murs. C'est la culture du silence», déplore-t-elle.
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