Plus 2 % ? Plus 6 % ? A Air France, ce n’est pas seulement l’ampleur de l’augmentation salariale que pourrait accorder la direction de la compagnie aérienne qui est aujourd’hui en jeu. Certes, c’est bien sur le montant de cette hausse des salaires que les personnels sont mobilisés, depuis maintenant deux mois, dans un mouvement de grève qui devrait être reconduit les 17, 18, 23 et 24 avril. Mais, derrière cette revendication, c’est tout un passif accumulé ces dernières années, au gré des plans de restructuration, qui ressort. Un ras-le-bol qui s’exprime. Dans toutes les catégories de personnel.
« Tout le monde s’est défoncé pour faireremonter l’entreprise », résume Françoise Redolfi, présidente de l’UNSA, chargée des hôtesses et des stewards, hôtesse de l’air depuis trente ans (elle en a 55), dont presque quinze comme cheffe de cabine principale. Aujourd’hui « on attend une juste reconnaissance des efforts fournis », dit-elle.
Fossé
Mercredi 11 avril, l’intersyndicale au complet a accepté l’ouverture d’une négociation salariale avec la direction, sans pour autant renoncer à ses quatre prochains préavis de grève. La reprise des négociations jeudi dans la matinée ne marque donc pas la fin du conflit, tant le fossé paraît grand entre les revendications des grévistes et ce que la direction semble être prête à concéder.
« Le préalable à toute discussion, c’est 6 % d’augmentation de salaire », a prévenu Karine Monsegu, de la CGT. « On ira chercher nos 6 %, c’est un dû », a appuyé Karim Taïbi de FO, lors d’un rassemblement de grévistes à Roissy, mercredi. En face, la direction, qui promet de revaloriser de « 2 % » les grilles salariales en 2018 en cas d’accord final, met en avant des capacités financières limitées, quoiqu’en hausse.
« Ce discours, on ne veut plus l’entendre », se cabre Françoise Redolfi, faisant valoir les efforts déjà consentis par le personnel d’Air France dans le cadre du plan « Transform 2015 ». Cette série de réformes, destinée à améliorer l’état du groupe et à réduire les coûts, comprenait un plan de départs volontaires et une amélioration de la productivité.
« La mort d’un métier »
« J’ai l’impression d’assister à la mort d’un métier », lance Sandrine Techer, 44 ans, cheffe de cabine long-courrier. Arrivée à Air France en 1997, secrétairede section du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC), Mme Techer rappelle que « la compagnie a perdu près de 11 800 salariés entre 2012 et 2017 », portant aujourd’hui le nombre de personnels à 44 000.
Elle énumère « la baisse du nombre d’hôtesses et de stewards par avion », « la réduction du temps de repos en escale », « l’appauvrissement des prestations à bord », « les économies sur les uniformes », « la suppression de certaines indemnités » ou encore « le gel des salaires ».
Commandant de bord depuis plus de dix ans, François Hamant, membre du syndicat Alter qui appelle à la grève, explique que les pilotes ont également vu leurs « heures de vol considérablement augmenter », et que « les effectifs sont passés de 4 100 à 3 500 en cinq ans ».
« Au fil du temps, on ne sait pas ce que l’on va devenir, on ne sait pas où va l’entreprise, les équipes sont cassées », fait savoir Marc Saladin, technicien aéronautique à Air France depuis 1974, et secrétaire général de l’UNSA, chargé du personnel au sol.
Dirigeants qui « s’augmentent »
Dans ce contexte, un certain nombre des salariés interrogés opposent le personnel « sacrifié », prêt à « accentuer la pénibilité de son travail », aux dirigeants qui « s’augmentent [+ 17,6 % en 2016], avant de nous dire comment on doit travailler, alors qu’ils ne savent rien de notre métier. »
Mme Redolfi, qui touche un salaire mensuel de 3 800 euros net, « sans week-end garanti et en étant absente douze nuits par mois », déplore la « posture culpabilisante des dirigeants qui imputent le manque de compétitivité aux salariés » :
« Alors que ce sont eux qui ont orchestré la casse de notre métier, avec leurs plans de restructuration, et le lancement de filiales low cost. »
Ces tensions sociales à l’œuvre depuis plusieurs années affectent les salariés, qui, comme M. Hamant, arrivé dans l’entreprise en 1997, disent se sentir dépossédés « du sens profond de [leur] métier ». Le pilote se souvient de ce qui faisait « l’âme du métier » il y a encore quelques années. Il décrit « le plaisir que l’on prend à réaliser le beau geste en décollant », « celui d’arriver à l’heure », « de pouvoir saluer les passagers qui sortent de l’appareil », bref « tout ce qu’il y a d’enfantin dans un vol ».