La sociologue Sandrine Rui revient sur le processus mis en place par Emmanuel Macron. Selon elle, si ces dispositifs produisent des effets, ils restent difficiles à mesurer.
Entretien. Sandrine Rui, maîtresse de conférences en sociologie et vice-présidente de l’université de Bordeaux, est spécialiste des processus de démocratie participative. Elle a notamment écrit La Démocratie en débat. Les citoyens face à l’action publique (Armand Colin, 2004).
Engagé à la mi-janvier par le président de la République, le grand débat national aura finalement mobilisé 1,5 million de Français. Au regard de ce chiffre peut-on dire que la démocratie participative sort gagnante de cet exercice ?
Il faut surtout se demander ce qu’elle pourrait y perdre si les conclusions du grand débat n’étaient pas à la hauteur des attentes qu’il a suscitées. Mais ce qui importe plus encore, c’est de savoir ce qui en résultera pour la démocratie au sens large. La crise ouverte par le mouvement des « gilets jaunes » a révélé, de façon aiguë, un point limite de la gouvernabilité d’une société fragmentée et divisée. La question est de savoir si l’on va parvenir collectivement à tirer les leçons de ce qui s’est joué dans le cadre de ce débat et à ses bords. Il ne suffira pas au président de la République de dire : « Je vous ai compris. » Les citoyens attendent des décisions, des actes. Mais aussi la mise en récit d’un projet cohérent, qui donne du sens et un horizon à partager pour l’avenir.
D’après certains, ce grand débat a surtout mis en exergue l’ancrage de l’individualisme dans la société. « La majorité de ceux qui ont participé ont réagi par rapport à leur situation personnelle. Il est difficile d’y voir un projet national », regrette ainsi un conseiller de l’exécutif. Qu’en pensez-vous ?
La plus-value d’un dispositif participatif, c’est de permettre aux citoyens de contribuer au débat depuis leurs conditions d’existence, leurs intérêts et leurs opinions personnelles. Il faut l’assumer, car c’est la matière même du politique. On ne peut pas reprocher aux individus qu’on a invités à s’engager de s’en tenir à leur expérience propre. Sur certaines scènes du grand débat, les participants ont d’ailleurs eu l’occasion de dépasser l’expression de leurs intérêts personnels, et d’entrer dans des dynamiques de discussion collective pour faire des propositions. Mais si ces propositions nous intéressent collectivement, c’est justement parce qu’elles partent des expériences individuelles.
Inédit par sa forme comme par son ampleur, le grand débat national s’inscrit dans toute une panoplie de processus qui permettent aux citoyens de se mêler directement des affaires qui les concernent. De quand date, en France, le développement de cette démocratie participative ?
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