Série « Le Monde » et moi. A l’occasion des 75 ans du quotidien, l’ancien président de la République confie, avec une pointe de nostalgie, les sentiments parfois divergents que lui inspire la lecture du journal.
« J’ai découvert Le Monde au lycée. Né en 1954, je suis de la génération post-68 et je cherchais des informations crédibles à une époque où il y avait une multitude de sources, militantes, politiques et où la télévision d’Etat jouait un rôle majeur. Le Monde m’apparaissait comme le journal qui, à tort ou à raison, m’apportait non pas la neutralité mais l’objectivité.
Je n’étais néanmoins pas un lecteur régulier du Monde. C’est à Sciences Po que je le suis devenu. Je n’étais pas abonné, car mon plaisir, c’était d’avoir Le Monde quand il était frais, qu’il sortait des imprimeries. Je me souviens d’un vendeur à la criée qui, dès 14 heures, ne venait pas simplement vendre le journal mais aussi partager sa lecture.
Je déchirais Le Monde non parce que je lui en voulais, mais parce qu’il y avait beaucoup à lire. A l’époque, les photos étaient bannies et la « une » était éclatée en de multiples appels pour susciter la curiosité. La lecture prenait parfois des heures. La présentation du budget de l’Etat par Gilbert Mathieu ou par Alain Vernholes, c’était quatre ou cinq pages d’analyses serrées. Les congrès de partis, le Parti socialiste en particulier, faisaient l’objet d’une restitution des principales motions. La vie parlementaire, ce n’était pas que le bruit des Quatre Colonnes [la salle de l’Assemblée nationale où les journalistes interviewent traditionnellement les députés], c’était le récit des interventions en séance.
Dans toutes mes années d’études, Le Monde, le « bien nommé », m’a ouvert sur toutes les grandes questions internationales : le coup d’Etat au Chili en 1973, la « révolution des œillets » au Portugal, le retrait américain du Vietnam et du Cambodge avec des reportages largement complaisants pour les nouveaux maîtres de ces pays.
Lecteur énervé
Avec l’entrée dans la vie active, Le Monde est devenu un instrument de travail. Et est arrivé un jour où je suis passé de lecteur à acteur. Je confirme que l’on peut aussi rester les deux, même si le lecteur est souvent énervé de la manière avec laquelle l’acteur est traité. Président de l’UNEF à Sciences Po et élu au conseil de direction de l’école, j’avais été irrité que l’on puisse écrire dans mon journal que ce syndicat devenu majoritaire était animé par des étudiants communistes. Je n’étais pas communiste, j’étais pour l’union de la gauche. J’ai écrit à Dominique Dhombres qui suivait la chronique universitaire. Il prit le soin de me répondre. J’y ai été sensible mais il a continué à faire ce rapprochement ! J’ai compris que Le Monde ne pouvait avoir tort.
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