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Les victimes de violences obstétricales ou gynécologiques peuvent engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé. Try_my_best

Face aux violences gynécologiques, d’autres voies que le pénal existent

Les victimes de violences obstétricales ou gynécologiques peuvent engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé. Try_my_best
Elsa Supiot, Université d'Angers et Laurie Friant, Université de Poitiers

Le 12 octobre 2022, Le Monde publiait un article intitulé « De la douleur banalisée au ressenti de “viol”, les expériences traumatisantes en gynécologie ». Cet article intervient dans un contexte de dénonciations, depuis plusieurs années maintenant, des atteintes portées aux droits des patientes dans leur suivi gynécologique et obstétrical.

Face à ces atteintes, différentes initiatives ont été entreprises telles que la réalisation d’un rapport par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, la rédaction d’une charte de la consultation en gynécologie et en obstétrique ou la saisine le 6 juillet dernier du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

L’enjeu de ces initiatives est de faire évoluer les pratiques pour prévenir ces atteintes. Il est toutefois illusoire de penser que les évolutions en cours puissent aboutir à une disparition totale des violences dans le suivi gynécologique et obstétrical. Une fois l’atteinte constituée, les victimes peuvent engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé. Il est donc essentiel de préciser les voies de recours qui leur sont ouvertes. C’est l’un des enjeux du projet de recherche « Les violences gynécologiques et obstétricales saisies par le droit » sur lequel nous travaillons.

L’année 2022 a été marquée par les plaintes déposées au pénal contre deux gynécologues, l’une étant par ailleurs secrétaire d’État.

Or, contrairement à ce que pourrait laisser penser l’importante médiatisation de ces affaires, les voies de recours face à ces atteintes ne se réduisent pas, loin s’en faut, au droit pénal. Celui-ci ne pourra d’ailleurs être utilement mobilisé que si les faits reprochés correspondent à une infraction.

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Les principales qualifications susceptibles d’être mobilisées sur le terrain pénal sont ainsi le viol, l’agression sexuelle, les violences volontaires et involontaires et, pour les cas les plus graves, l’homicide volontaire ou involontaire.

Nombre des atteintes dénoncées (non prise en compte de la gêne de la patiente, liée au caractère intime de la consultation, propos porteurs de jugements sur la sexualité, la tenue, le poids, qui renvoient à des injonctions sexistes, etc.) ne relèvent donc pas du droit pénal, mais peuvent être très traumatiques pour la patiente.

Le droit lui offre alors d’autres voies. Ces actions ne sont pas, à quelques exceptions près, exclusives les unes des autres et peuvent être cumulées, y compris le cas échéant avec un recours pénal. L’opportunité de choisir une voie plutôt qu’une autre dépend donc de la nature des faits reprochés, mais aussi des besoins et aspirations de la victime (excuses, indemnisation, sanction, etc.).

La voie non juridictionnelle

La voie non juridictionnelle, autrement dit sans passer devant un juge, peut être intéressante si la patiente souhaite comprendre sa prise en charge et voir reconnaître que les événements dont elle se plaint revêtent un caractère traumatique ou anormal, sans engager une démarche judiciaire potentiellement longue, coûteuse et dont l’issue est incertaine.

Une médiation en établissement de soins peut alors être envisagée. C’est une rencontre organisée en présence d’un tiers neutre et dont l’objet est de rétablir le dialogue, éventuellement la confiance entre le patient et le professionnel de santé ou son équipe. La démarche est présentée dans ce guide des bonnes pratiques réalisé par l’Agence régionale de santé d’Ile de France. Il est également possible d’adresser un courrier de plainte au service juridique ou à la commission des usagers de l’établissement concerné.

Cette plainte conduira le plus souvent à une conciliation dont l’objet est de trouver un terrain d’entente. Cette entente, si elle existe, pourra être formalisée par la conclusion d’une transaction c’est-à-dire, d’un contrat qui met fin à la contestation par le biais de concessions réciproques. La victime peut, par exemple, renoncer à toute poursuite judiciaire en contrepartie d’une indemnisation. Ainsi, la voie non contentieuse ne fait pas obstacle à une demande d’indemnisation, bien au contraire.

Porter plainte auprès des ordres

Un recours disciplinaire auprès de l’ordre professionnel compétent (médecin ou sage-femme) paraît de prime abord le plus approprié pour la patiente qui souhaite avant tout éviter que ce qu’elle a vécu se reproduise. Elle doit porter plainte auprès de l’ordre qui va alors organiser une conciliation.

Si celle-ci n’aboutit pas, la section disciplinaire de l’ordre est saisie du recours. Objectif : sanctionner les manquements aux obligations déontologiques par des peines disciplinaires graduées, allant de l’avertissement à l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer.

Parmi les obligations déontologiques communes, on trouve la non-malfaisance, le respect du patient, de sa personne et de sa dignité, comme on peut le lire dans le Code de la santé publique. Ainsi, de nombreux faits qui peuvent être qualifiés de violences gynécologiques sont susceptibles d’être invoqués devant les chambres disciplinaires des ordres professionnels.

Ce recours est indépendant des procédures pénale, civile ou administrative éventuellement engagées, mais se heurtera souvent à des questions de preuve, comme nous l’expliquons plus bas.

Recours devant le juge judiciaire ou administratif

Une action devant le juge judiciaire ou administratif (selon que les faits ont eu lieu dans un cadre libéral ou hospitalier) permet à la patiente d’espérer voir le professionnel de santé, ou l’établissement de santé, réparer le dommage subi par le biais d’une indemnisation. Cette indemnisation pourra être allouée pour compenser des préjudices extrêmement variés : physiques bien sûr mais aussi psychologiques. Devant le juge, l’obtention de cette indemnisation supposera cependant la preuve d’une faute (du professionnel ou de l’établissement) et d’un lien de causalité (c’est-à-dire qu’il faudra montrer que la faute est à l’origine du dommage).

La faute du professionnel sera caractérisée en cas d’erreur technique, comme la mauvaise réalisation d’un acte ou une erreur grossière de diagnostic, mais également en présence d’un manquement à une obligation de comportement tel qu’une attitude humiliante ou dégradante.

Cette voie présente un objectif indemnitaire, mais pas seulement : la condamnation du professionnel à verser une indemnité en tant que telle aura une incidence sur la notoriété du soignant et pourra le conduire à faire évoluer sa pratique.

On le voit, en théorie, le droit est actuellement relativement bien outillé pour répondre à la question des violences gynécologiques. La principale difficulté est d’ordre pratique et concerne la preuve, qu’il s’agisse de la preuve d’un manquement du professionnel, du dommage ou du lien de causalité entre les deux.

Concernant le dommage, la victime sera presque systématiquement soumise à une expertise médicale visant à constater sa réalité (et son importance ainsi que son lien avec les faits reprochés). Dès lors, elle a tout intérêt à être accompagnée d’un avocat spécialiste de la réparation du dommage corporel. Celui-ci pourra défendre au mieux ses intérêts lors de l’évaluation de ses préjudices par l’expert (mandaté selon la voie choisie, par l’assurance ou par le juge).

Si l’on ajoute à cela l’aléa de l’appréciation de la preuve des faits, par le juge et, a fortiori, par les confrères et consœurs du professionnel dans les procédures ordinales, on comprend que le parcours contentieux, en plus d’être long et coûteux, est très incertain. De fait, une grande majorité des patientes se tourne in fine vers la médiation et renonce à la voie contentieuse (aux alentours de 80 % selon les associations de patients).

Commission de conciliation et d’indemnisation

Pour échapper à certaines de ces difficultés, la patiente pourrait être tentée de saisir une commission de conciliation et d’indemnisation (CCI). Ces instances sont présidées par un magistrat et composées notamment de représentants des usagers, des professionnels de santé, des établissements de santé, et de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Cet établissement public a pour mission « d’organiser le dispositif d’indemnisation – amiable, rapide et gratuit – des victimes d’accidents médicaux ».

Le délai de traitement des demandes par les CCI était tout de même de dix mois en 2021. Ce recours amiable présente aussi certains inconvénients tenant tant aux conditions d’accès qu’à l’étendue de la réparation. L’indemnisation suppose en effet que la patiente rapporte la preuve que son dommage résulte d’un accident médical et on retrouve donc une partie des difficultés probatoires précédemment évoquées.

Si la CCI retient l’existence d’une faute du professionnel de santé, elle l’invite à indemniser la victime et, en cas de refus ou de silence de ce dernier, l’ONIAM peut jouer un rôle de garant et dédommager lui-même la victime, souvent à des montants moindres que ceux décidés par les juges tant administratif que judiciaire.

En l’absence de faute, la CCI invite l’ONIAM à indemniser la victime, mais uniquement si cette dernière présente un dommage extrêmement important (taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de 24 % au moins). De facto, de nombreuses victimes se trouvent donc exclues de cette indemnisation par la solidarité nationale.

Le droit dispose donc de nombreux instruments pour répondre aux manquements subis par les patientes dans leur suivi gynécologique et obstétrical. Ces instruments doivent être mieux connus des patientes, mais aussi mieux mobilisés pour saisir utilement les violences gynécologiques et obstétricales.

Elsa Supiot, Professeur, Droit privé et sciences criminelles., Université d'Angers et Laurie Friant, Maître de conférences en droit privé, Université de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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