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Selon des chercheurs, l’adolescence prendrait plutôt fin vers 24 ans que vers 19. Andreas Åkre Solberg/Flickr, CC BY-SA

Elodie Gentina, IÉSEG School of Management

Les jeunes rêvent d’autonomie, et pourtant le nombre de jeunes cohabitant chez leurs parents ne cesse d’augmenter. En 1973, 59 % des 18-24 ans résidaient chez leurs parents, contre 65 % aujourd’hui. Une récente étude menée par des chercheurs de l’université de Melbourne affirme d’ailleurs que l’adolescence prendrait fin vers 24 ans et non 19, comme il est communément admis.

Il existe des facteurs explicatifs de l’augmentation de jeunes qui cohabitent avec leurs parents, tels que l’allongement de la durée des études, la montée du chômage chez les jeunes, ou encore la difficulté de trouver un emploi stable. Parmi les générations nées entre les années 1950 et celles nées dans les années 1980, l’âge médian de fin d’études est passé de 16,5 ans à 20 ans pour les filles et de 18,6 ans à 19,7 ans pour les garçons.

L’âge du premier emploi a aussi progressé du fait de l’allongement de la scolarité mais aussi des difficultés à trouver rapidement du travail en sortant de l’école. L’âge du premier emploi est passé de 17,3 ans à 20 ans entre les filles nées dans les années 1950 et celles nées dans les années 1980, et chez les garçons, de 16,8 ans à 19,6 ans. Enfin, après une décennie de baisse, le taux de chômage moyen pondéré dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans est passé de 11,8 % fin 2019 à 14,2 % début 2021 sous l’effet de la pandémie de Covid-19.

Cependant, il reste difficile aujourd’hui de différencier la fin de l’adolescence et les débuts de l’âge à partir d’événements marqueurs propres à la société industrielle, comme le premier emploi, le premier mariage, le premier achat de résidence, la naissance des enfants, qui jalonnaient le parcours de vie. Même si ces événements demeurent présents dans la vie des jeunes, ils prennent souvent un sens différent pour chacun.

Un processus plus qu’un statut

Les études sur la jeunesse ont été longtemps dominées par des analyses de trajectoires qui délaissaient les processus individuels. Or, les sociologues reconnaissent aujourd’hui qu’il importe de cerner les processus individuels de l’âge adulte pour mieux comprendre les changements qui s’organisent aux différents moments du cycle de vie, et notamment lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Les travaux issus de ma thèse de doctorat sur le processus d’autonomisation des adolescents ont montré que le passage à l’âge adulte apparaît de plus en plus comme un processus plutôt que comme l’accès à un statut. Ainsi, l’entrée dans l’âge adulte ne se présente plus comme une rupture entre l’adolescence et l’âge adulte. Le passage de l’adolescence à l’âge adulte admet des allers et retours possibles, des sortes d’essais/erreurs, comme l’illustre le caractère aléatoire du départ de la maison et le retour chez les parents.

Depuis mars 2020 et le début de la pandémie de Covid-19, près de 50 % des étudiants français ont été contraints de quitter leur logement pour retourner chez leurs parents et reprendre une place d’enfant au sein du cocon familial, du fait de difficultés financières pour près d’un tiers d’entre eux.

Les racines grecques du mot « autonomie » évoquent l’idée de se donner soi-même (auto) ses lois (nomos). Le fait de devenir autonome n’amène pas l’individu à être indépendant des liens sociaux. L’indépendance ne relève donc pas du même processus que l’autonomie. L’autonomie se construit à travers les liens et amène à une redéfinition du lien parent-enfant, sans parler de rupture.

Jusque dans les années 1980, l’autonomie n’a été étudiée que sur un plan affectif comme étant une prise de distance vis-à-vis des parents, ne nécessitant pas pour autant un détachement profond des parents. Il faudra attendre les années 2000 pour que l’autonomie soit intégrée dans un modèle plus global où se retrouvent ces différentes dimensions : l’autonomie affective (prise de distance vis-à-vis des parents), l’autonomie cognitive (prise de décisions), l’autonomie conative (actions dans la vie de tous les jours), ou encore l’autonomie financière (gestion de son argent). Les travaux de recherche que j’ai menés sur le concept d’autonomie de l’adolescent consommateur ont contribué à mettre en œuvre un outil de mesure multidimensionnel comprenant ces différentes formes d’autonomie.

« Apprendre la socialisation »

Plusieurs gestes apparemment anodins peuvent ainsi être déterminants dans le processus d’autonomisation de l’adolescent, tels que ne pas tout raconter aux parents le soir (autonomie affective), être capable de prendre des décisions seul (autonomie cognitive), faire des sorties non accompagnées ou encore rentrer seul à la maison après le collège (autonomie conative).

L’argent de poche contribue aussi au processus d’autonomisation de l’adolescent. D’après le baromètre Pixpay, sur un échantillon de 1000 parents de collégiens et de lycéens, 92 % des adolescents français recevraient de l’argent de poche, depuis l’âge de 11 ans, dès l’entrée au collège. Pour 42 % d’entre eux, ce don est régulier, pour un montant moyen de 30 euros par mois.

Comme le déclare la spécialiste des sciences de l’éducation Marie-Agnès Hoffmans-Gosset, « apprendre l’autonomie, c’est apprendre la socialisation ». Les parents ont recours au processus de communication familiale centrée sur les valeurs de l’argent pour dispenser l’apprentissage de l’autonomie de leur enfant.

Le fait d’attribuer ou non de l’argent de poche peut répondre à différents objectifs : les parents donnent-ils de l’argent de poche pour favoriser à leur enfant une certaine autonomie, pour qu’il prenne la valeur des choses, pour qu’il apprenne la notion de budget ou qu’ils aient la possibilité de s’octroyer des « petits plaisirs » ? Les réactions des parents face à l’utilisation de leur enfant de l’argent de poche contribuent à éduquer ces derniers à la consommation.

D’après une étude qualitative réalisée auprès de 30 adolescents français et américains âgés de 12 à 18 ans, la provenance de l’argent (don vs. gain) joue un rôle significatif sur l’identification de l’argent à la fois comme un moyen de réalisation de soi ou une source d’inquiétude. Les résultats de l’étude montrent qu’aux États-Unis les adolescents considèrent l’argent comme une réalisation de soi puisque ces derniers n’attendent pas leur majorité pour gagner de l’argent via un petit job.

Nouvelles sources de revenus

D’ailleurs, face à la pénurie de main-d’œuvre actuelle, des sénateurs de plusieurs états aux États-Unis ont présenté un projet de loi pour étendre le nombre d’heures de travail légales pour les jeunes de 14 et 15 ans.

En France, la législation du travail reste plus contraignante pour les mineurs, notamment en termes d’horaires. Les entreprises hésitent à embaucher des adolescents mineurs, et les parents français privilégient l’octroi d’argent de poche. Les résultats de l’étude ont montré que, parmi l’échantillon d’adolescents français interrogés, le fait de recevoir de l’argent risque de conduire l’adolescent à développer un sentiment d’inquiétude à l’égard de l’argent. Les adolescents français, qui reçoivent de l’argent par l’intermédiaire de sources extérieures, tendent à être davantage préoccupés par la crainte de manquer d’argent pour assouvir leurs besoins, ce que nous n’avons pas retrouvé auprès de l’échantillon d’adolescents américains.

L’émergence de plates-formes numériques telles que Vinted, Etsy, etc, ont-elles permis aux adolescents de trouver une nouvelle manière de se faire de l’argent de poche ? Vendre sur Vinted apparaît aujourd’hui comme une pratique courante et très largement partagée par cette jeune génération : 22 % des utilisateurs de Kard, une néo-banque pour les jeunes, l’utilisent ainsi comme seule source de revenus. Vinted permettrait à presque un quart des jeunes de 10 à 18 ans de gagner en moyenne 25 euros par mois.

Le succès de ces plates-formes est le signe d’une génération très entrepreneuriale, qui imagine et teste de nouveaux modèles économiques. On peut d’ailleurs voir dans ces usages une nouvelle manière de « jouer à la marchande » et d’entreprendre. Vinted n’est-elle pas finalement en train de devenir la plus grande école de commerce de France !

Elodie Gentina, Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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