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Mikaël Chambru, Université Grenoble Alpes (UGA)

Du 15 au 30 novembre 2021, des militants d’Extinction Rebellion ont occupé le bois de la Colombière dans la station de ski de la Clusaz pour s’opposer à la construction d’une nouvelle retenue collinaire.

Quels enjeux socio-environnementaux ces nouvelles mobilisations écologistes en montagne révèlent-elles à l’heure du réchauffement climatique ?

Face à la raréfaction des ressources en eau

Dans le massif des Aravis, en Haute-Savoie, la mairie de La Clusaz souhaite créer une retenue collinaire de 148 000 m³ à 1 500 m d’altitude sur le plateau de Beauregard. Si le projet aboutit, il s’agirait du cinquième aménagement de ce type sur la commune, permettant de stocker des eaux de ruissellement et ainsi de disposer de réserves significatives (287 000 m3).

Ce projet est présenté par ses promoteurs comme une réponse à la raréfaction de la ressource en eau et la meilleure solution pour faire face aux aléas climatiques dans les années à venir. Sauf qu’il intervient à proximité d’une tourbière de 9 hectares et de plusieurs zones humides classées Natura 2000 et qu’il va aussi permettre à la commune d’étendre l’enneigement artificiel sur 33 hectares de pistes de ski supplémentaires (de 27 à 47 % de son domaine).

De nouvelles formes de mobilisation collective en montagne

Pendant 15 jours, Extinction Rebellion a installé une « zone à défendre » (ZAD) dans le bois de la Colombière. En occupant les lieux jour et nuit, l’objectif de cette action directe non violente était double. Empêcher physiquement le déboisement et le début effectif des travaux ; obtenir que le préfet de Haute-Savoie ne signe pas la Déclaration d’utilité publique (DUP).

Le premier objectif est atteint : les travaux n’ont pas commencé au 30 novembre et n’auront pas lieu cet hiver. Pour le second objectif, le préfet ne s’est pas encore prononcé publiquement. Le 22 octobre 2021, la commission d’enquête publique a rendu un avis favorable au projet, malgré 76 % d’avis négatifs du public. En cas d’autorisation accordée, les opposants prévoient d’ores et déjà des recours juridiques devant les tribunaux.

De par son caractère inédit en montagne, cette ZAD a mis un coup de projecteur national sur ce projet controversé d’aménagement local.

L’irruption d’Extinction Rebellion sur la scène montagnarde a en effet suscité l’intérêt des médias au-delà des Alpes. Elle n’est toutefois pas si surprenante contenue du contexte de ces dernières décennies :
- le répertoire d’actions utilisé par Extinction Rebellion est utilisé de longue date au sein des différentes mobilisations écologistes ;
- les projets d’aménagement en montagne ont toujours engendré des conflits ;
- il existe une mobilisation citoyenne locale depuis plusieurs années dans le massif des Aravis avec laquelle Extinction Rebellion a tissé des liens et articulé des tactiques complémentaires.

Des conflits d’usages autour de l’eau amplifiés par le réchauffement climatique

Au-delà de la mobilisation elle-même, ce projet controversé rappelle que la ressource en eau n’est pas illimitée en montagne et que sa gestion révèle les rapports sociaux et relations de pouvoir à l’œuvre dans ces territoires.

Une gestion qui doit faire face à des contraintes socio-environnementales particulières :

  • les spécificités du milieu naturel : l’eau est difficilement stockée dans les nappes phréatiques car La Clusaz est sur un terrain calcaire ;

  • les pics de fréquentation en période hivernale liés au tourisme hivernal : la demande en eau s’accroît sensiblement car La Clusaz multiplie sa population par 13 pendant les vacances scolaires ;

  • l’activité pastorale : La Clusaz se situe dans la zone de production AOC du reblochon.

Ces contraintes sont désormais amplifiées par deux facteurs générant de fortes incertitudes : les conséquences du réchauffement climatique (hausse de la température, baisse de l’enneigement à moyenne altitude, renforcement des épisodes de sécheresse…) et l’augmentation du recours à l’enneigement artificiel dû à la baisse de l’enneigement naturel lui-même lié au réchauffement climatique.

Ainsi se résume la situation actuelle : une diminution de la ressource en eau disponible face à un besoin croissant de cette même ressource, entraînant d’inévitables conflits liés à son usage (eau potable pour la population, neige de culture et activité pastorale). À l’automne 2018, suite à un fort épisode de sécheresse, le maire de La Clusaz avait anticipé une possible pénurie d’eau potable en puisant dans les réserves destinées aux canons à neige.

L’accentuation du réchauffement climatique laisse augurer l’augmentation de ce type de conflits. Quelles solutions y apporter ? C’est sur ce point que les acteurs s’opposent, comme le montre le conflit actuel autour de ce projet de retenue collinaire.

D’un côté, la municipalité propose d’augmenter la ressource en eau disponible pour ensuite la répartir entre les différents besoins. De l’autre, les opposants proposent de répartir la ressource existante entre les différents besoins, en stoppant l’augmentation de ces derniers.

Des enjeux spatio-temporels autour de la transition montagnarde

En arrière-plan de ce conflit se déploie une autre problématique : le devenir des territoires de montagne et leurs identités.

Il témoigne des tensions engendrées par les défis auxquels la montagne est confrontée et rappelle que la « transition » vers davantage de durabilité est un concept au faux air de consensus. Y compris dans une commune comme la Clusaz ayant fait le choix de faire évoluer son modèle économique, en initiant une sortie progressive du « tout ski » et du « tout tourisme ». Par exemple, en refusant l’implantation d’un projet de Club Med ou en lançant une expérimentation pour inciter de nouveaux habitants à venir vivre et travailler dans le village.

Il n’y a pas une mais plusieurs transitions possibles selon des référentiels sociopolitiques et culturels différents et des formes d’innovations sociales plus ou moins ambitieuses. Engager la transition d’un territoire, c’est difficile mais inévitable. C’est devoir arbitrer entre plusieurs enjeux : économiques, sociaux, environnementaux, politiques, culturels, etc.

Ce qui se joue aujourd’hui à la Clusaz, c’est précisément la conciliation de ces enjeux antagonistes, articulés autour de tensions spatio-temporelles :

  • enjeu de spatialité : la montagne est plurielle et chaque territoire est spécifique, d’où l’importance d’une territorialisation de la transition et des politiques publiques associées ;

  • enjeu de temporalité : l’urgence à agir face au réchauffement climatique pour changer de modèle de développement territorial et ne plus dépendre uniquement du tourisme hivernal.

Une transition territoriale à mettre en débat

La question posée est donc la suivante : faut-il investir aujourd’hui 10 millions d’euros afin de garantir 30 ans de revenus issus du ski et avoir autant de temps pour changer de modèle de développement territorial, ou faut-il stopper ces aménagements pour investir dès aujourd’hui ces 10 millions d’euros dans d’autres d’activités que le tourisme ?

D’une manière ou d’une autre, cette question des transitions se pose ou va se poser à l’ensemble des territoires de montagne du fait des effets du changement climatique. L’enjeu n’est donc pas d’éviter à tout prix que n’émerge un débat public autour de ce changement de modèle de développement territorial. C’est au contraire le favoriser et s’appuyer sur les dissensus pour imaginer collectivement des solutions soutenables permettant de vivre et travailler en montagne.

La Clusaz peut choisir de jouer un rôle précurseur, comme laboratoire et démonstrateur à ciel ouvert de ces innovations sociale.

Mikaël Chambru, Maître de conférences en sciences sociales, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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