Alors que les banques centrales relancent leurs soutiens à l’activité, les économies industrialisées s’enfoncent dans l’ère des taux bas. Si les emprunteurs en profitent, les épargnants et les banques, en revanche, sont pénalisés.
C’est une petite révolution. Un changement d’ère, dont les universitaires, les financiers et les banquiers centraux eux-mêmes peinent encore à saisir les conséquences. Depuis quelques années, le loyer de l’argent ne cesse de baisser dans les économies industrialisées. Cela tient en partie à la politique des instituts monétaires, qui ont massivement baissé leurs taux directeurs après la crise de 2008 pour relancer le crédit. Alors qu’elles les ont à peine relevés depuis, elles les réduisent de nouveau face aux tensions commerciales et au ralentissement de la croissance mondiale.
Mais ce n’est pas tout : nombre d’économistes influents, comme Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor américain, ou Olivier Blanchard, ex-chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), soulignent également que les taux ont en vérité commencé à baisser dès la fin des années 1970. En cela, ils seraient le reflet de l’affaiblissement tendanciel de la croissance et de l’inflation, notamment lié au vieillissement de la population. Autant dire que les taux ne sont pas près de remonter…
- Les Etats font des économies sur leur dette
Les Etats, eux, sont les grands gagnants des taux bas. Désormais, l’Allemagne emprunte même, sur dix ans, à des taux négatifs. Prêts à tout pour placer leur argent sur des actifs sûrs, les investisseurs préfèrent renoncer à toucher des intérêts pour, à l’inverse, payer un peu le pays de la chancelière Angela Merkel en échange de sa dette. Début juillet, la France a elle aussi emprunté à taux négatif à dix ans (– 0,33 %) pour la première fois de son histoire, rejoignant les Pays-Bas et la Suisse.
Evidemment, cela représente des économies considérables pour les finances publiques. Si l’on considère la baisse des taux enregistrée entre 2007 et 2014, les administrations publiques tricolores ont ainsi économisé 143 milliards d’euros sur la période considérée, soit 7 points de produit intérieur brut (PIB) cumulé sur sept ans.
Toute la question est de savoir si les gouvernements utilisent les sommes ainsi dégagées à bon escient. A savoir, pour réaliser des investissements augmentant la croissance future (infrastructure, transition écologique, éducation…) ou réduire leur dette, plutôt que pour financer leurs dépenses courantes. Rien n’est moins sûr, estiment nombre d’économistes, regrettant au passage que l’Allemagne ne profite pas des taux négatifs pour emprunter et soutenir un peu plus son économie, au bord de la récession industrielle.
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