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La manière dont un enfant s'évalue lui-même est décisive pour sa motivation à l'école. Shutterstock

Est-il toujours souhaitable de mettre son enfant dans une « bonne » classe ?

Dominique Lafontaine, Université de Liège et Virginie Dupont, Université de Liège

De nombreux travaux en sciences de l’éducation ont souligné l’influence de la classe ou de l’école fréquentée sur les apprentissages des enfants.

Sur la base de ces recherches, on tend généralement à considérer que le fait d’être dans une école ou une classe de « bon » niveau a des conséquences plutôt positives tant sur les performances scolaires, les aspirations d’études et de carrière que sur la motivation de l’élève. Oui, mais les choses sont-elles aussi simples ? Ne faut-il pas considérer d’autres paramètres ?

Si les bénéfices sont largement évidents sur le plan des acquis scolaires, il en va autrement sur le plan socio-affectif, notamment sur la manière dont l’élève appréhende ses capacités et sur la confiance en soi qui en découle. De nombreux travaux portant sur le concept de soi scolaire ont mis en évidence un effet psychologique important appelé le Big-Fish-Little-Pond-Effect (BFLPE) : le poisson qui nage dans un petit étang se sent plus gros que s’il nageait dans un grand étang.

La perception de soi, pour les élèves comme pour le poisson, varie en fonction de son environnement immédiat. Le fait de fréquenter une école ou une classe plus ou moins performante peut avoir des effets déroutants sur le concept de soi académique d’un élève. Et ils sont relativement peu connus dans le monde de l’éducation, même si certains acteurs les appréhendent de manière intuitive.

Auto-évaluation

Le concept de soi scolaire, à la différence du concept de soi ou de l’estime de soi en général, renvoie à la manière dont l’élève se perçoit dans une discipline scolaire donnée. Il est souvent mesuré par des questionnaires : des propositions telles que « je suis fort en maths », « je suis un des meilleurs de ma classe »… sont soumises aux élèves, qui doivent indiquer dans quelle mesure ils sont d’accord avec elles.

Pour appréhender ce concept de soi, l’élève va explicitement (quand la question est par exemple « je suis un des meilleurs de ma classe ») ou implicitement (quand la question est « je suis fort en maths ») se comparer avec les autres élèves de la classe ou de l’école qu’il ou elle fréquente.

On comprend immédiatement en quoi le concept de soi peut être influencé par la composition des groupes dans lesquels l’élève s’inscrit. Selon que ce groupe classe ou école est plus ou moins fort, selon que ce groupe est plus ou moins hétérogène sur le plan des aptitudes, le point de comparaison que prend l’élève sera différent, le concept de soi en sera inévitablement affecté.

Prenons par exemple deux élèves dont la moyenne au test PISA en mathématiques est de 65 % (il ne s’agit que d’un exemple, les phénomènes observés pourraient être les mêmes avec tout autre test). L’un de ces élèves (A) est dans une classe dont la moyenne au test est de 80 %, l’autre élève (B) est dans une classe dont la moyenne au même test est de 50 %.

Il y a fort à parier qu’à performances égales (les élèves A et B ont tous les deux obtenu 60 %), l’élève A se percevra comme nettement moins bon en maths que l’élève B. C’est ce que de nombreux travaux de recherche ont montré, dans différents systèmes éducatifs (en Belgique, en France, en Allemagne notamment). Cet effet du groupe de référence sur le concept de soi est puissant, universel, et se maintient dans le temps.

Sensibilité des élèves

Le concept de soi scolaire est une des composantes essentielles de la motivation et est bien corrélé avec les résultats scolaires dans le domaine. Sans surprise, les élèves les plus performants ont un concept de soi plus positif, ce qui les pousse à s’investir dans les apprentissages du domaine et, en un mouvement vertueux, à devenir plus performants ou à le rester.

Or, comme on vient de le voir, ce concept de soi ne dépend pas que du niveau de l’élève, il est aussi fortement influencé par les performances moyennes de la classe que l’élève fréquente. Les recherches ont en outre montré que c’est le cercle le plus proche (la classe) qui a la plus forte influence, bien plus que l’école fréquentée.

Les enfants évaluent leurs propres compétences en se comparant à leurs camarades de classe. Shutterstock

Plusieurs recherches ont étudié si l’effet de la classe d’appartenance sur le concept de soi variait en fonction du niveau d’aptitude de l’élève, de son sexe, de son origine socioculturelle, ou encore de certains traits de personnalité. La principale conclusion est que plupart des élèves sont sensibles à l’effet « petit poisson dans la grande mare ».

Les personnes émotionnellement instables, ou celles qui ont un haut niveau d’anxiété et qui se tracassent excessivement ont tendance à y être plus sensibles, tandis que les personnalités narcissiques, autoritaires ou dominantes y seraient moins sensibles. Les rares études qui ont inclus une analyse en fonction du sexe de l’élève font apparaître que les filles sont légèrement plus affectées que les garçons par les performances de leurs camarades de classe.

Différences internationales

L’impact négatif des performances de la classe sur le concept de soi scolaire est clairement de plus grande ampleur au secondaire qu’au primaire c’est-à-dire au moment où l’on passe à un regroupement plus important des élèves par aptitude (via des filières ou des classes de niveau). Par ailleurs, quelques études montrent que l’effet « petit poisson dans la grande mare » est d’autant plus important que le système scolaire est différencié.

Ainsi, dans les systèmes scolaires intégrés ou « compréhensifs » (pays baltes ou scandinaves, Canada), c’est-à-dire où les élèves ne sont pas regroupés dans des classes ou des écoles de niveaux différents, les groupes de référence (classe et/ou école selon les études) auxquels les élèves se comparent sont relativement similaires du point de vue des aptitudes, et les effets délétères d’une comparaison défavorable aux autres élèves de la classe seront moindres.

À l’inverse, dans les systèmes différenciés, où les élèves sont regroupés par filière ou par niveau, les cadres de référence sur lesquels s’appuie la comparaison sociale sont différents d’une classe ou d’une école à l’autre, ce qui décuple l’effet des comparaisons sociales. La France, la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas sont dans ce second cas de figure, en tout cas au secondaire.

Pour le résumer en une formule simple, plus la question du choix ou du placement de l’élève dans la « bonne » classe – la « bonne » école, la « bonne » filière ou option – est un enjeu dans un système éducatif, plus un effet important du groupe de référence est observé.

Sorti en 2019, le film La Lutte des classes souligne combien le choix d’un établissement scolaire peut virer à la surenchère parentale.

La « bonne » classe n’est pas toujours le meilleur choix

La question des choix scolaires (école, classe, filière, option) est un enjeu indéniable dans un système éducatif comme le système français ou belge. Ces choix ont une incidence sur les acquis scolaires (le niveau de connaissances et de compétences), mais aussi sur la manière dont un élève perçoit ses capacités (concept de soi), qui influe à son tour sur sa motivation, sa confiance en soi, sa persévérance.

Sur ce point, les études relativement peu connues dont parle cet article ont clairement montré qu’il n’est pas toujours bénéfique ni souhaitable de vouloir à tout prix mettre son enfant dans la classe perçue à tort ou à raison comme la « meilleure ». Pour un élève « moyen », a fortiori pour un élève en difficulté, se trouver au quotidien dans la situation de se percevoir comme moins bon que les autres peut avoir des effets vraiment négatifs, susceptibles d’engendrer une démotivation et un désengagement progressifs dans les tâches scolaires.

Parfois, la « meilleure » classe est celle où l’élève se sent en confiance, encouragé, capable d’y arriver, pas celle où la compétition est féroce, où il importe d’avoir les meilleures notes et où l’élève se retrouve systématiquement moins bien noté que les autres. C’est un élément dont les parents en particulier devraient avoir connaissance et qu’ils devraient mettre en balance avec d’autres critères, lorsque la possibilité d’un choix de placement scolaire pour leur enfant se pose.

Vouloir à tout prix le meilleur établissement, la filière la plus prestigieuse pour son enfant n’est pas toujours le meilleur choix, et peut même se révéler délétère si l’élève est particulièrement sensible aux comparaisons sociales (enfants anxieux, stressés, peu confiants dans ses capacités) ou en relative difficulté scolaire.

Dominique Lafontaine, Professeure en sciences de l'éducation, Université de Liège et Virginie Dupont, Chercheuse en sciences de l'éducation, Université de Liège

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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