De nombreuses communes françaises ont pris des mesures pour réduire l’éclairage public dans le cadre de leur plan de sobriété énergétique. Ruben Christen/Unsplash, CC BY-NC-SA
Éclairage public : les Français sont-ils prêts à éteindre la lumière ?
Léa Tardieu, Inrae; Chloé Beaudet, AgroParisTech – Université Paris-Saclay et Maia David, AgroParisTech – Université Paris-SaclayL’éclairage artificiel, public et privé, s’est accru ces dernières années, de concert avec une urbanisation croissante. Outre contribuer à la facture énergétique collective, l’éclairage artificiel nocturne engendre une pollution lumineuse qui affecte la biodiversité végétale et animale, la santé humaine et rend difficiles les observations astronomiques. Or les paysages nocturnes font partie du patrimoine commun de la nation comme en dispose le Code de l’environnement.
Pour lutter contre la pollution lumineuse et amorcer leur transition écologique, les communes disposent de plusieurs options, que la situation énergétique actuelle pousse de plus en plus à considérer à travers des plans de sobriété énergétique.
Elles peuvent, par exemple, adapter leur parc d’éclairage ou leurs façons d’éclairer par l’extinction partielle ou totale des luminaires, changer le type de lampes, améliorer l’orientation des lampadaires… (voir à ce propos les recommandations du guide « Trame noire » produit par l’Office français de la biodiversité).
Mais qu’en pense la population directement impactée par ces modifications ?
Afin d’évaluer la sensibilité des personnes aux modifications de l’éclairage public, l’Inrae a conduit une étude fondée sur une « expérience de choix », ciblée sur les habitants de la métropole de Montpellier Méditerranée, et élargie au reste de la France pour avoir des éléments de comparaison.
Trois façons de réduire la pollution lumineuse générée par l’éclairage public
La consultation par notre équipe de recherche de professionnels de l’éclairage, de représentants de collectivité et d’experts du Centre de ressources Trame verte et bleue, a contribué à identifier trois modes de variation de l’éclairage réalistes et capables de réduire la pollution lumineuse et son impact sur la biodiversité : la baisse de l’intensité lumineuse, l’extinction de l’éclairage à différentes heures de la nuit et la modification de la couleur de la lumière, les lumières jaune orangé ayant moins d’impacts que les lumières blanches émettant dans le bleu (lampes LED notamment) sur la biodiversité.
La variation de la taxe d’habitation (ou autre impôt local équivalent) a été intégrée afin de permettre aux individus de prendre en compte l’incidence financière dans leurs choix de préférences pour un profil d’éclairage.
Des citoyens plus favorables que d’autres
Les résultats sur l’échantillon de la métropole Montpellier Méditerranée montrent que les citoyens, quels que soient leurs caractéristiques socio-économiques et leur lieu de résidence, sont en moyenne favorables à une modification de l’éclairage public, mais pas nécessairement selon les modalités proposées.
Concernant ces dernières, une forte polarisation des préférences est observée : 80 % des personnes ayant répondu à l’enquête adhèrent aux modifications d’éclairage (les « pro ») et 20 % y sont réticents (les « anti »).
Plus précisément, les premiers sont favorables à une diminution de l’intensité de la lumière et à un changement de couleur du blanc vers l’orangé, très favorables à une extinction de 1h à 5h, et, dans une moindre mesure, favorables à une extinction de 23h à 6h. Ils se déclarent plus fréquemment sensibles à l’environnement et gênés par les lumières intrusives.
Les « anti », en revanche, ne sont pas favorables à une baisse de l’intensité de la lumière, indifférent à un changement de couleur du blanc vers l’orangé, légèrement opposés à une extinction de 1h à 5h et fortement opposés à une extinction de 23h à 6h. Ce groupe se caractérise par un usage supérieur de l’espace public de nuit, pour les sorties ou le travail de nuit, et par une population qui estime plus souvent vivre dans des quartiers où l’extinction de la lumière pourrait poser des problèmes de sécurité.
C’est dans les communes de densité intermédiaire (correspondant aux communes périurbaines de la métropole de Montpellier) que la population enquêtée est la plus favorable à l’extinction de 23h à 6h.
Cela peut s’expliquer par un accès aux transports en commun restreint dans ce type de communes, et donc par un usage de la voiture plus fréquent. Par conséquent, le ressenti de l’insécurité nocturne potentielle y est moindre que dans les milieux plus urbains où les résidents circulent plus souvent à pied.
Le sentiment d’insécurité, un frein majeur
Des statistiques effectuées à partir des résultats de l’enquête ont illustré que les répondants plus âgés, les femmes et les personnes qui se déplacent à pied sont moins susceptibles d’être favorables à une modification importante de l’éclairage public. Cela s’explique dans l’échantillon par un sentiment d’insécurité plus fort pour ces catégories de la population.
Cette perception freine notamment l’adoption d’une mesure d’extinction des éclairages de 23h à 6h. Dans le questionnaire, les réticences évoquées par les répondants vis-à-vis de la régulation de l’éclairage sont la baisse du sentiment de sécurité, voire la crainte d’une progression de la criminalité (agressions et cambriolages) et des risques d’accidents de la route.
D’autres arguments ont été mentionnés dans une moindre mesure, comme la réduction de la visibilité et la peur des chutes, ou le coût de la politique publique.
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Très peu d’études informent des conséquences de la modification de l’éclairage, et notamment de l’extinction, sur la sécurité. Un article publié récemment avance que l’extinction et la baisse de l’intensité lumineuse n’ont aucun impact sur la fréquence des cambriolages, vols à main armée ou violences physiques. On observe même une diminution des vols de voiture dans les zones d’extinction, mais une augmentation de ceux-ci dans les rues adjacentes où l’éclairage reste inchangé, ce qui suggère un déplacement spatial des délits.
Les économies d’énergie, le principal moteur
Reste que, la grande majorité des enquêtés est favorable à l’adaptation de l’éclairage pour réduire la pollution lumineuse. Les moteurs principaux de cette acceptabilité sont, en tête, les économies d’énergie, puis la préservation de la biodiversité. Les impacts sur la santé et sur l’observation du ciel semblent être des conséquences positives plus secondaires.
Des résultats similaires dans le reste de la France
À l’échelle française, la même polarisation des préférences en deux classes est observée, les « anti » étant toutefois un peu plus nombreux que sur la métropole de Montpellier (25 % sur la France versus 20 % sur la métropole de Montpellier). Cependant, ces derniers sont moins réticents aux différents changements (et y sont même favorables), mais restent fortement opposés à l’extinction de la lumière de 23h à 6h.
Par ailleurs, des différences de facteurs socio-économiques expliquant l’appartenance aux classes apparaissent également. Par exemple, contrairement à ce qui a été observé sur la métropole de Montpellier, il semble que les personnes âgées sur l’échantillon français soient plus enclines à accepter une modification de l’éclairage public que les plus jeunes. Probable explication, ces personnes se déplacent moins la nuit et sont donc moins affectées par un tel changement. Certains facteurs sont similaires, les hommes restent plus susceptibles d’être favorables à une modification de l’éclairage public.
Des enseignements pour les collectivités
Les résultats issus de cette étude quantitative (par une expérience de choix) viennent confirmer ceux de l’étude qualitative conduite dans la métropole de Lille, notamment sur le fait que les individus sont globalement favorables ou très favorables à une modification de l’éclairage public.
Le changement de couleur de la lumière du blanc/bleu à l’orange paraît être une mesure facilement acceptable par la population tout en ayant de fortes répercussions sur la biodiversité. L’extinction de 1h à 5h du matin ou la réduction de l’intensité de la lumière semblent aussi être des mesures facilement adoptables, en particulier dans les quartiers résidentiels, sans trop avoir à craindre d’opposition de la part des résidents.
Les réticences, voire les oppositions, se concentrent sur les extinctions de 23h à 6h, signalant que cette mesure doit faire l’objet d’une concertation préalable et s’adresser à des communes où l’acceptabilité est susceptible d’être la plus importante, comme dans les communes périurbaines. La concertation peut notamment avoir pour objectif de définir les heures d’extinction et d’allumage les plus acceptables par la population.
L’étude statistique des réponses au questionnaire met également en évidence qu’informer la population sur les effets néfastes de la pollution lumineuse, en particulier sur la biodiversité et la consommation d’énergie, est un levier qui favorise l’acceptabilité des changements d’éclairage par la population.
Elle souligne enfin que les personnes habitant dans des villes ayant déjà mis en place des mesures de réduction de la pollution lumineuse sont plus à même d’accepter des avancées plus ambitieuses (comme l’extinction de 23h à 6h). L’instauration progressive des modifications dans le temps et dans l’espace serait ainsi préférable afin d’augmenter l’adhésion de la population aux régulations de l’éclairage pour diminuer la pollution lumineuse.
Léa Tardieu, Chercheuse en économie de l’environnement, Inrae; Chloé Beaudet, Doctorante en économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay et Maia David, Chercheuse en économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.