Cinq ans après le début du Dieselgate, Volkswagen se retrouve devant un tribunal allemand pour un procès sans précédent. Les actionnaires réclament 9,5 milliards d’euros au constructeur automobile.
À affaire extraordinaire, dispositif extraordinaire. Le procès de Volkswagen (VW) a débuté lundi 10 septembre au palais des Congrès de Brunswick, en Allemagne, car l’enceinte du tribunal était trop petite. Une cinquantaine d’avocats, quelques-uns des milliers de plaignants, les accusés, les juges, des dizaines de journalistes et de simples curieux sont réunis pour un procès qui devrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années.
Les enjeux sont immenses. Pour l’Allemagne, il s’agit de tourner la page judiciaire du Dieselgate, le plus grand scandale économique de son histoire récente, qui a écorné durablement l’image du “made in Germany”. Volkswagen, aussi, aimerait en finir avec ce boulet qu’il traîne derrière lui depuis le 19 septembre 2015, jour où les autorités américaines ont révélé la fraude massive aux tests antipollution. Mais la marque allemande cherchera surtout à éviter d’être condamnée à verser 9,5 milliards d’euros aux actionnaires mécontents.
Une somme record dans les annales judiciaires allemandes, réclamée par environ 2 000 petits porteurs qui assurent que VW leur a dissimulé l’ampleur du Dieselgate. L’aspect purement juridique de ce procès apparaît presque anodin en comparaison de la démesure du procès. Il s’agit d’un conflit somme toute classique entre des actionnaires qui se sentent floués et une direction qui assure qu’il n’y a pas eu de rétention d’informations. “Ce sont des actionnaires qui découvrent soudain qu’ils ont un sens moral, alors qu’ils n’ont jamais cherché à savoir à quel point les véhicules diesel étaient réellement polluants lorsque les ventes leur rapportaient gros”, résume le Süddeutsche Zeitung.
Impressionnante liste de témoins
La question centrale posée par les plaignants obligera la justice à plonger en profondeur dans les entrailles de cette affaire, permettant ainsi au pays de faire un véritable examen de conscience des pratiques de l’un de ses groupes les plus emblématiques. Les actionnaires veulent savoir depuis quand les grands patrons de Volkswagen savaient que ses voitures vendues aux États-Unis étaient, en réalité, plus polluantes que la norme autorisée.
L’avocat principal de la partie civile, Andreas Tilp, argumente, dans un document de près de 700 pages, que le dispositif permettant de fausser les résultats des tests antipollution a commencé à être installé sur des véhicules Volkswagen dès 2005. Pour lui, la direction ne pouvait donc pas ignorer ces pratiques lorsque la marque allemande a décidé de se lancer sur le marché américain en 2008. Tous les investissements des actionnaires intervenus après cette date auraient ainsi été faits en méconnaissance de cause et méritent réparation financière.
Volkswagen rejette la faute sur “un petit groupe d’ingénieurs”, qui aurait agi de son propre chef. La direction, et surtout l’ancien PDG, Martin Winterkorn, affirme ne pas avoir été au courant jusqu’aux révélations de septembre 2015. Pour démêler le vrai du faux, le tribunal a convoqué une impressionnante liste de dirigeants d’entreprises et de politiques. Deux anciens ministres allemands des Transports doivent venir témoigner, tout comme des responsables de Volkswagen, de Porsche (également cité par la plainte des actionnaires) et de Bosch – le géant de l’électroménager a conçu le logiciel fraudeur. Le juge ira même interroger un ingénieur de Volkswagen qui purge actuellement une peine de sept ans de prison pour escroquerie aux États-Unis.
Martin Winterkorn, lui-même, a été convoqué par la justice qui veut savoir si l’ancien patron n’a pas été blanchi à tort par une enquête interne. Si l’ex-PDG a été la première victime du scandale au sein de VW – il a démissionné le 23 septembre –, il n’a pas trop souffert financièrement. Il a touché l’intégralité de son salaire durant un an, après avoir quitté son poste. Volkswagen lui verse en outre une retraite complémentaire de 3 100 euros par jour. Un sort plus qu’enviable pour le PDG, alors que la plupart des actionnaires =ont vu le cours de l’action du groupe divisé par deux depuis 2015.