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Le système Kepler, premier système détécté dans lequel une planète orbite autour de deux étoiles. NASA/JPL-Caltech/R. Hurt

Des planètes sous deux soleils, et comment on les détecte depuis la Terre

Le système Kepler, premier système détécté dans lequel une planète orbite autour de deux étoiles. NASA/JPL-Caltech/R. Hurt
Isabelle Boisse, Aix-Marseille Université (AMU)

Imaginez-vous sur la planète Tatooine, dans La guerre des étoiles. Luke Skywalker regarde avec vous les deux soleils se coucher, de taille et de couleur différentes.

Ce type de planète s’appelle « exoplanètes circum-binaires » : ce sont des planètes en dehors de notre système solaire qui orbitent autour de deux étoiles. La première planète de ce type a été détectée en 2011 grâce au satellite spatial Kepler et s’appelle Kepler-16b… elle a vite été surnommée « Tatooine », bien sûr.

Alors que les étoiles multiples (binaires, triples, ou plus) constituent 85 % des étoiles de la Galaxie, elles ont été largement mises de côté dans la recherche d’exoplanètes, pendant presque 25 ans. Et pourtant, bien qu’elles soient plus difficiles à mesurer que les étoiles isolées, leur étude permet de mieux comprendre comment les planètes se forment, y compris celles qui orbitent autour d’une seule étoile.

Le nouveau programme BEBOP est dédié à la recherche de planètes orbitant autour d’étoiles binaires. Il utilise des télescopes terrestres des hémisphères nord et sud, et donc des méthodes moins coûteuses – et moins polluantes – que les missions spatiales. Il a déjà permis de découvrir de nouvelles planètes circumbinaires… et d’autres doivent être annoncées très prochainement.

Détecter des exoplanètes qui orbitent autour de deux étoiles depuis la Terre, c’est possible. Amanda Smith, Fourni par l'auteur

De la fiction à la réalité : les premières découvertes

Depuis la découverte de la première exoplanète en 1995 (qui orbite autour d’une seule étoile), plusieurs milliers d’exoplanètes ont été détectées.

En 2011, le satellite Kepler a utilisé la « méthode des transits » et détecté pour la première fois une planète circumbinaire, Kepler-16b.

La méthode des transits consiste à mesurer la luminosité d’un grand nombre d’étoiles. Dans une configuration particulière d’un système planétaire par rapport à nous, on peut alors assister au passage de la planète devant son étoile. On observe alors une baisse d’intensité lumineuse de l’étoile de façon périodique, qui permet de mesurer le rayon de la planète et sa période orbitale. C’est une configuration particulière du système qui a une faible probabilité d’arriver, d’où le besoin de mesurer un grand nombre d’étoiles pour détecter quelques exoplanètes.

Le système binaire Kepler-16 est composé d’une étoile « K » (un peu plus petite et un peu moins chaude que le Soleil) et d’une petite étoile « M » (de couleur rouge, environ 10 fois moins massive que le Soleil), tournant l’une autour de l’autre en 41 jours. La planète circumbinaire, Kepler-16b, orbite en 228 jours autour de ses deux étoiles. Elle ressemble à Saturne en termes de masse et de rayon, mais elle n’a pas d’anneaux connus.

Par la suite, les données du satellite Kepler et de sa mission étendue et dégradée K2, ont révélé deux autres systèmes de ce type.

Une planète, en bleu, orbite auteur de deux étoiles, en jaune et rouge. Mengzy, CC BY-SA

Le satellite Kepler n’est maintenant plus en service et son successeur, TESS, n’observe des portions du ciel que sur une durée de 27 jours, ce qui ne permet pas de découvrir des exoplanètes circumbinaires. En effet, ce laps de temps est plutôt de l’ordre de la période orbitale des étoiles entre elles. Pour qu’une planète se trouve de façon stable autour de ces systèmes, il faut plutôt qu’elle orbite à plus grande distance des étoiles, plutôt au-delà de 70 jours de période.

De son côté, le fameux télescope spatial James-Webb se focalise sur des études d’atmosphère ou de l’imagerie, avec peu de cas de systèmes binaires.

Détecter les exoplanètes depuis le sol

Ces 25 dernières années, les chercheurs ont tenté de détecter des étoiles binaires depuis le sol via la « méthode des vitesses radiales ». Cette méthode mesure le décalage spectral des raies des éléments chimiques présent dans l’atmosphère des étoiles. La mesure de ce déplacement permet de déterminer la vitesse des étoiles et de retrouver la masse et la période d’une planète en orbite.

Il y a un décalage de longueur d’onde quand les étoiles s’approchent de la Terre et s’en éloignent. ESO, Fourni par l'auteur

Mais lorsqu’il y a deux étoiles, on obtient la lumière combinée des deux astres, ce qui rend l’analyse compliquée et empêche de déterminer la vitesse des étoiles avec la précision nécessaire pour identifier une planète.

Nous avons mis en place un programme de recherche dédié aux exoplanètes circumbinaires, en nous concentrant sur des systèmes binaires où une des deux étoiles est une petite étoile rouge (de type spectral M), qui ne contribue que très peu au flux reçu. En d’autres termes, le flux combiné des deux étoiles binaires est principalement dû à la plus brillante et la plus grosse des deux étoiles, ce qui permet d’obtenir une bonne précision sur les mesures – comme si on avait qu’une seule étoile. Une centaine de systèmes binaires sont actuellement suivis depuis les deux hémisphères.

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Nous avons d’abord démontré l’efficacité de la méthode en re-mesurant le système Kepler-16 grâce au spectrographe SOPHIE du télescope de 193 centimètres de l’Observatoire de Haute-Provence. Nous avons pu mesurer sa masse avec précision et indépendamment par la technique des vitesses radiales – la masse de cette planète avait auparavant été estimée par la méthode de variations du temps des transits. Elle est de 0,3 fois la masse de Jupiter (pour comparaison, la masse de Saturne est de 0,7 fois la masse de Jupiter).

Méthode de détection d’exoplanètes par variation des temps de transit. Traduction d’un schéma de la NASA

Cette avancée montre que les télescopes au sol restent tout à fait pertinents pour mener des recherches sur les exoplanètes et qu’ils peuvent permettre de développer de nouvelles stratégies d’observation tout à fait passionnantes. Notamment, cette méthode permet aussi de détecter s’il y a plusieurs planètes dans un système, ce qui n’est pas nécessairement le cas de la méthode des transits car les planètes peuvent ne pas être toutes dans le même plan (et donc ne pas toutes transiter).

Dans la continuité de notre étude de Kepler-16b, nous analysons maintenant les données prises sur de nombreux autres systèmes d’étoiles binaires, et recherchons de nouvelles planètes circumbinaires – dont certaines doivent être annoncées dans les prochaines semaines.

L’observatoire de Haute-Provence, où a été découverte la première exoplanète, 51 Pegasi b, ce qui a mené au prix Nobel de physique 2019. Alexandre Santerne, Fourni par l'auteur

Pour la partie du ciel qui n’est visible que depuis l’hémisphère sud, ça se passe au Chili, avec le spectrographe CORALIE du télescope Leonhard-Euler d’1,2 mètre ; et pour des mesures plus précises les spectrographes HARPS (sur le télescope de 3,6 mètres de l’observatoire de La Silla) ou ESPRESSO (au Very Large Telescope de l’observatoire de Cerro Paranal, tous deux du European Southern Observatory).

Mieux comprendre comment se forment les planètes

Ces planètes orbitant autour de deux étoiles contraignent et mettent au défi les théories actuelles de formations des planètes, établies pour les systèmes autour d’étoiles simples. L’ajout d’une deuxième étoile au centre du système complexifie les équations.

En particulier, on ne sait pas encore comment la poussière et des petits grains dans le disque protoplanétaire s’agglomèrent pour former des planètes. Une hypothèse est que les planètes se forment en fait loin des étoiles, puis se déplacent vers l’intérieur du système – un phénomène appelé « migration ».

Ces nouvelles planètes ne doivent pas nous faire oublier que la nôtre est unique avec son Soleil jaune, sa belle Lune, et sa fine couche de vie entre ciel et terre.

Isabelle Boisse, Astronome adjointe au Laboratoire d'Astrophysique de Marseille, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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