La muqueuse intestinale humaine, où vit notre microbiote intestinal. S. Schuller, Wellcome Images, CC BY
Des pistes vers un microbiote artificiel qui aiderait notre microbiote naturel
Özgür Bar?? Akan, Koç UniversityLes animaux utilisent des substances chimiques appelées phéromones pour communiquer entre eux, attirer des partenaires, marquer leur territoire et signaler un danger. Les plantes, elles, libèrent des composés organiques volatils pour attirer les pollinisateurs et repousser les prédateurs. Ce type de communication à l’aide de molécules, connue sous le nom de « communication moléculaire », est également utile à l’homme, mais d’une manière qui passe inaperçue : c’est grâce à elle que les milliards de bactéries naturelles qui vivent à l’intérieur de notre corps et sur notre peau peuvent interagir.
En effet, le microbiote humain – les bactéries naturelles présentes dans le corps humain – utilise des molécules de « quorum sensing » pour s’organiser et communiquer avec leur hôte humain. Le microbiote est crucial pour notre santé, car il intervient dans un grand nombre de processus physiologiques, notamment la digestion et la régulation du système immunitaire. Notre microbiote produit également des hormones et d’autres molécules essentielles.
Le microbiote intestinal affecte en particulier le système nerveux central et influence l’humeur, le comportement et la cognition de l’hôte par l’intermédiaire de l’« axe intestin-cerveau », un réseau complexe qui relie intestin et cerveau par le biais de voies de signalisation impliquant des molécules.
Cette communication basée sur les échanges de molécules au sein de l’organisme est essentielle au maintien de l’homéostasie (c’est-à-dire la stabilité cellulaire) et a été associée à de nombreux processus physiologiques tels que le développement neuronal et le métabolisme de la dopamine. À l’inverse, toute défaillance dans ces réseaux de communication ou dans la santé du microbiote peut contribuer à des pathologies graves, notamment le trouble du spectre autistique et la maladie de Parkinson.
Malgré les avantages multiples du microbiote intestinal, sa population et son fonctionnement dans l’organisme ne peuvent être entièrement contrôlés par l’homme, car il s’agit d’organismes indépendants qui vivent en nous.
Pour remédier à ces problèmes, un champ de recherche explore des alternatives fabriquées par l’homme, qui pourraient se substituer à ces organismes dans le but de rendre les choses plus contrôlables et prévisibles. Des recherches récentes ont montré que les bactéries artificielles, également appelées « probiotiques synthétiques », pourraient offrir une approche prometteuse pour traiter les troubles de l’axe intestin-cerveau à l’avenir.
Ces bactéries artificielles utiliseraient la communication moléculaire, tel qu’elle se produit naturellement dans les organismes vivants, mais ici comme un paradigme de communication bio-inspiré qui utilise des molécules pour transférer l’information.
À quoi ressembleront les bactéries artificielles ?
L’idée derrière les bactéries artificielles est qu’elles pourraient interagir avec le microbiome intestinal et le système nerveux central afin de moduler et d’interférer avec les réseaux de communication au sein de ces systèmes. Par exemple, elles pourraient être programmées pour produire des molécules spécifiques qui modulent la croissance et l’activité de bactéries spécifiques dans le microbiome intestinal, ou pour produire des molécules de signalisation neuronale de type neurotransmetteur qui peuvent moduler l’activité du système nerveux.
Les bactéries artificielles pourraient également être conçues pour imiter la fonction d’un type de bactéries naturelles, appelées probiotiques, qui ont des effets bénéfiques sur l’axe intestin-cerveau : ces probiotiques naturels peuvent restaurer ou maintenir l’équilibre du microbiote intestinal, ce qui peut contribuer à améliorer les symptômes des troubles liés à l’intestin, tels que les maladies inflammatoires de l’intestin, la diarrhée infectieuse et le syndrome du côlon irritable.
Ainsi, l’utilisation active de bactéries artificielles dans le traitement des troubles liés à l’axe intestin-cerveau pourrait peut-être permettre des avancées significatives. La capacité de concevoir des micro-organismes pour qu’ils remplissent des fonctions ou des comportements spécifiques sera un élément clé pour prévenir la prolifération des agents pathogènes et assurer l’homéostasie dans l’organisme.
Par exemple, en développant des bactéries artificielles capables de produire des peptides antimicrobiens, nous pourrions cibler et tuer les bactéries nocives avec une plus grande précision, évitant ainsi le développement d’une résistance aux antibiotiques. De même, en programmant des bactéries artificielles pour favoriser la croissance de micro-organismes bénéfiques dans l’intestin, une communication plus efficace entre les micro-organismes pourrait être établie, favorisant le rétablissement de l’homéostasie.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Le développement de biocapteurs intestinaux et de bactéries artificielles pour détecter des biomarqueurs liés à la maladie permettrait de les utiliser comme outils de diagnostic.
Cependant, la première étape du développement d’outils de diagnostic consiste à comprendre la communication entre les bactéries naturelles et le cerveau. Puis, imiter cette communication avec des homologues artificiels pourrait nous aider à lutter contre de nombreuses maladies, telles que les troubles de l’humeur et l’autisme, dans un avenir proche.
Comment développer des bactéries artificielles ?
La communication moléculaire est un paradigme de communication bio-inspiré qui utilise des molécules pour transférer des informations comme cela se produit naturellement dans les organismes vivants, avec plusieurs exemples analogues dans la nature, comme illustré tout au long de l’article. Ce paradigme de communication ouvre la voie à la réalisation de diverses applications prévues.
Dans le contexte de la communication moléculaire, les bactéries artificielles font référence à l’ingénierie de bactéries artificielles (biologiques ou électroniques) capables de communiquer entre elles et avec les cellules humaines au niveau moléculaire. L’organisme envisagé n’est rien d’autre qu’un réseau de systèmes transmettant et recevant des molécules à l’échelle microscopique ou nanoscopique.
Cet émetteur-récepteur à base de bactéries pourrait envoyer et recevoir des signaux moléculaires à l’intérieur du corps humain afin de détecter et de contrôler les processus biologiques en temps réel. Comme indiqué précédemment, la bactérie artificielle envisagée serait un bon candidat pour les applications biomédicales des réseaux de nanocommunication, telles que le diagnostic et le traitement des maladies, la surveillance de la santé, l’administration de médicaments et les bioimplants « hybrides » (naturels et artificiels à la fois).
Cependant, la conception et la fabrication de tels dispositifs biocompatibles nécessitent des efforts interdisciplinaires dans les domaines de la théorie de l’information et de la communication, des nanotechnologies, de la science moléculaire – entre autres. Il s’agit notamment de mettre au point des techniques de communication fiables, peu complexes, économes en énergie et en molécules, ainsi que des modèles réalistes de canaux de communication moléculaires validés par des expériences.
Ces émetteurs-récepteurs pourraient également être conçus pour développer des technologies de « laboratoire sur puce », qui sont des systèmes de laboratoire miniaturisés pouvant être utilisés pour effectuer divers tests diagnostiques et analytiques pour l’axe intestin-cerveau. Bien qu’il existe un grand nombre de projets de recherche en cours et de bancs d’essai développés sur ce sujet, aucune expérience n’a été réalisée sur des systèmes vivants. De nombreux projets de recherche en cours s’efforcent activement de concrétiser ce paradigme. Un exemple notable est le développement d’un prototype de récepteur de communication moléculaire utilisant le graphène, un nanomatériau aux propriétés biochimiques exceptionnelles, ainsi que l’utilisation de la technologie des biocapteurs.
Ces travaux indiquent que des dispositifs pratiques ne sont pas très loin à l’horizon et, compte tenu du rythme des progrès technologiques, nous sommes en bonne position pour envisager la production de ces dispositifs d’ici quelques décennies. Toutefois, le principal obstacle auquel se heurtent encore les chercheurs est la réalisation de tests réussis sur des organismes vivants : souris, rats ou un autre organisme modèle. Les progrès de la communication moléculaire et de la biologie synthétique pourraient permettre d’avancer vers des expériences in vivo, dans le but de mettre au point des outils de diagnostic pour de nombreuses maladies, en particulier les troubles liés à l’intestin.
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AXAResearchFund.
Özgür Bar?? Akan, Professor in electrical and electronics engineering, University of Cambridge, Koç University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.