D’après la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), plusieurs Français, membres de l’EI, ont réduit en esclavage et violé des femmes yazidies en Irak entre 2014 et 2017. L’ONG demande à la justice française d’enquêter.
Salma, 26 ans, raconte avoir été victime d’un jihadiste français en Irak. La jeune yazidie, officiellement achetée par un ressortissant français pour effectuer des tâches ménagères, dit avoir été violée plusieurs fois par cet homme. "Sa femme n’arrêtait pas de me demander ce que je faisais là, mais lui me disait de ne rien dire. Elle voulait que je parte. Quelques jours plus tard, il m’a emmenée loin de son foyer dans une autre maison. Là-bas, il m’a violé trois fois après m’avoir menottée et bâillonnée", raconte cette rescapée, dans un rapport publié jeudi 25 octobre par la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH).
Le témoignage de Salma, ainsi que celui de quatre autres Yazidies qui se sont enfuies ou ont été revendues à leur propre famille, révèle pour la première fois la présence de Français membres de l’organisation de l’État islamique (EI), parmi les auteurs de crimes commis contre ces femmes entre 2014 et 2017 en Irak. Les autres ravisseurs identifiés sont de nationalité allemande, américaine, chinoise, tunisienne, libanaise, jordanienne, saoudienne, libyenne, palestinienne et yéménite.
Cette enquête, intitulée "Crimes sexuels contre la communauté yazidie : le rôle des djihadistes étrangers de Daesh", est le fruit d’un travail de terrain mené auprès des survivantes par l’organisation de documentation Kinyat et la FIDH, qui demandent désormais à la justice française de se saisir de ces dossiers pour faire condamner les coupables.
"Les victimes ont des détails sur leurs physiques"
"Lorsqu’ils [les jihadistes de l’EI] sont poursuivis en justice, ils le sont quasi-systématiquement sur le fondement de charges liées à la lutte contre le terrorisme. Ces préoccupations sécuritaires légitimes ne sauraient faire oublier l’exceptionnelle gravité des crimes internationaux commis par les combattants de Daesh [acronyme de l’EI], qui doivent également être jugés", réclame la FIDH. "La majorité des pays d’origine des combattants étrangers de l’État islamique ont la possibilité juridique d’aller au-delà de cette approche exclusivement fondée sur les législations anti-terroristes, en poursuivant leurs ressortissants pour des crimes internationaux", poursuit l’ONG.
À terme, la FIDH espère que certaines des femmes interrogées dans le cadre de son enquête puissent venir témoigner en France. "Les ravisseurs français ne sont pas clairement identifiés mais les femmes rencontrées ont collecté un certain nombre de détails signifiants sur leurs physiques, elles savent des choses sur leurs familles…", indique Clémence Bectarte, avocate coordinatrice du groupe d’action de la FIDH. L’utilisation de surnoms ou de nom de guerre, l’identification de leurs proches en Irak et en France, autant de détails qui peuvent alimenter une enquête judiciaire.
Le supermarché de l'EI : voitures, femmes et enfants
La FIDH va plus loin en accusant les jihadistes étrangers d’avoir joué un rôle "significatif" dans la perpétration des crimes contre ces femmes yazidies. Les témoignages recueillis par l’ONG laissent penser que ces femmes, réduites en esclavage par l’EI, pourraient avoir servies de récompenses ou d’appâts sexuels pour attirer les combattants étrangers dans les rangs de l’organisation terroriste. Pour preuve, l’un des premiers articles de Dabiq - la revue de propagande de l’EI - consacré à la question a d’abord été publié en anglais.
Parmi les femmes interrogées par la délégation de la FIDH, certaines expliquent que leurs ravisseurs étrangers se rassemblaient par petits groupes en fonction de leur nationalité, organisant ainsi plus facilement l’achat, le troc et la vente des femmes et enfants au sein de chaque communauté via des marchés aux esclaves ou des applications sur téléphones mobiles. Un des groupes de revente en ligne, appelé "The Great Mall of the Islamic State" ["Le Supermarché de l’État islamique], a compté jusqu’à 754 membres. "Il permettait d’acheter des femmes ou des enfants, avec des descriptions explicites sur leur âge ou apparence physique, au milieu des annonces de ventes d’armes ou de voitures", indique le rapport de la FIDH.
Au total, d’après l’ONG, plus de 6 800 Yazidis ont été enlevés, 4 300 ont affirmé s'être échappés et 2 500 semblent toujours portés disparus. Des enfants yazidis ont eux aussi été soumis à la torture : frappés, affamés, privés de produits vitaux, séparés de leur mère ou forcés à assister aux viols.
Impunité contre les auteurs
"Jamais encore, la justice d’un quelconque pays n’a condamné les auteurs des crimes perpétrés contre les membres de la communauté yazidie", dénonce Clémence Bectarte. Seul le parquet fédéral allemand a émis des mandats d’arrêt internationaux contre plusieurs ressortissants allemands pour crimes contre des Yazidies.
Or, les femmes rencontrées par l’ONG veulent aujourd’hui que leurs bourreaux soient punis. "Elles ont été capables de formuler l’importance toute particulière que revêt la volonté de justice pour elles, malgré leurs conditions de vie très précaires". La plupart de ces survivantes vivent aujourd’hui dans des camps de réfugiés, à proximité de la ville de Dohuk, dans le Kurdistan irakien. Pour la plupart, elles n’ont pas pu regagner leurs villages d’origine. De nombreux membres de leur famille ont disparu, parfois elles n’ont pas pu retrouver leurs enfants, leurs maris ou leurs frères.
Outre la justice française, la FIDH interpelle aussi la Cour pénale internationale (CPI), à qui elle demande l’ouverture d’un examen préliminaire sur la base de la nationalité des auteurs, puisqu’ils sont ressortissants d’États parties au statut de la CPI.
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