Marine Le Pen et Emmanuel Macron avant le débat de l'entre-deux tours de l'élection présidentielle, le 3 mai 2017 à Paris. Eric Feferberg / AFP, CC BY
Arnaud Mercier, Auteurs historiques The Conversation FrancePour la seconde fois dans l’histoire de la Ve République, le débat de second tour sera un match retour. Après les duels Valery Giscard d’Estaing/François Mitterrand de
Autant en 1974 et 1981, les données du débat étaient relativement similaires, autant ce jour les données vont changer. Ce changement est dû à l’échec complet de Marine Le Pen en 2017. Échec qui correspondait à une stratégie délibérée d’agressivité qui s’est avérée totalement contre-productive.
La candidate du Rassemblement national ne reproduira pas la même fatale erreur. Les enjeux du débat en seront donc modifiés, d’autant qu’Emmanuel Macron n’incarne plus la surprise mais doit désormais assumer le bilan de son quinquennat et contrebalancer la dégradation de son image.
L’échec de Marine Le Pen en 2017
Durant le débat, lors des commentaires observables sur les réseaux socionumériques on pouvait voir que même les soutiens de Marine Le Pen étaient gênés, voire désabusés par son attitude à la fois agressive et désinvolte. BFMTV évoquait la « déprime de la fachosphère ».
Elle a consacré plus de la moitié de son temps de parole à dénigrer son adversaire plutôt qu’à présenter ses propositions aux Français. Ne pas profiter d’un tel record d’audience en campagne électorale pour déplier son programme et tenter de convaincre est d’une rare incongruité. Ce que les internautes ont rapidement perçu.
Pire, elle a donné l’impression à plusieurs reprises qu’elle ne connaissait pas bien ses dossiers, son adversaire s’en amusant même et l’humiliant en lui faisant remarquer qu’elle s’était trompée de dossier lors d’un échange économique. Et puis elle n’a pas respecté son adversaire, se montrant très agressive, dès la première minute ; le diffamant en s’inquiétant de ne pas avoir à découvrir qu’il aurait un compte caché dans un paradis fiscal alors que de faux documents grossiers l’incriminant circulaient dans les réseaux de l’extrême droite américaine depuis 19h.
Le politologue Jacques Gerstlé parla d’« agressivité débridée » pour qualifier pareil comportement. Nous avions montré à l’époque qu’elle avait profané les règles du débat démocratique en ne respectant à ce point aucune des exigences fondatrices d’un dialogue entre interlocuteurs. Mais cela ne s’explique pas parce que Marine Le Pen aurait perdu ses nerfs ou aurait négligé l’exercice.
Un débat raté suite à une erreur d’appréciation tactique
Cette conduite du débat a dégradé l’image de marque de M. Le Pen et a accru l’écart des intentions de vote. Selon les sondages de l’institut Ipsos, le rapport de force était de 59-41 avant le débat et il est passé deux jours après à 63-37.
Le débat a donc bien servi les intérêts du candidat Macron. Et ce désastre trouve son origine dans l’application des consignes reçues par son équipe. Mediapart a révélé plus tard les documents rédigés par son conseiller Damien Philippot et sa garde rapprochée pour préparer le débat. On y lit en toutes lettres que l’attitude adoptée lors du débat était un choix tactique. On peut résumer les consternants éléments de langage formatés pour préparer cette prestation télévisée : nuire à l’image de marque d’Emmanuel Macron en se disant que le scrutin est fichu et que le seul objectif atteignable est de renforcer une abstention chez des gens subissant la pression du « front républicain » mais qui hésitent à voter Macron.
Marine Le Pen ne reproduira pas ce soir pareille erreur
Avec une telle tactique, la candidate du Front national avait réussi à ruiner en deux heures plusieurs années d’un long travail d’amélioration de son image, souvent résumé par le terme de dédiabolisation avec toutes les critiques que ce terme suscite, comme chez la politologue Nonna Mayer qui parle de « mythe de la dédiabolisation ».
Elle a depuis repris ce travail de longue haleine. Sa façon de présenter son intimité d’adoratrice de chats, sa volonté de modérer son langage, d’édulcorer son programme dans ses présentations orales, son insistance sur le pouvoir d’achat, son désir de se présenter comme une femme en politique soucieuse donc de se préoccuper de la vie quotidienne des Français, son appel à la fraternité entre patriotes, constituent autant de choix tactiques pour améliorer son image de marque. Grâce à sa participation à certaines émissions, aux selfies, à ses vidéos privées, elle s’est beaucoup employée au polissage de son image.
Marine Le Pen ne fait pas aussi peur que son père naguère, elle tenté de rompre avec certaines fractions historiques du Front national parmi les plus extrémistes.
Certains instituts de sondages au soir du premier tour ont donc projeté un écart très restreint entre les deux finalistes (52-48 voire 51-49). Même si l’écart s’élargit depuis que se multiplient les appels à un front républicain anti-Le Pen comme en 2002 et 2017, elle peut encore croire à une victoire surprise.
Elle ne se sabordera donc pas ce 20 avril 2022. On peut parier qu’elle se prépare à l’exercice avec gravité, avec sérieux, sachant qu’elle doit profiter de son temps de parole pour faire valoir son programme, pour espérer gagner en crédibilité présidentielle, et pour atténuer l’effet repoussoir qu’elle génère toujours. Mieux même, des convergences objectives existent avec l’électorat de Jean-Luc Mélenchon sur le pouvoir d’achat, certaines mesures sociales et une commune détestation du Président Macron.
Elle doit donc se faire séductrice pour s’attirer leurs bonnes grâces et les convaincre que ce qui les rassemble est plus important que ce qui les oppose, bien que le leader de la France insoumise affirme le contraire en proclamant à quatre reprises le 10 avril au soir « aucune voix ne doit aller à Marine Le Pen ». Croire en sa possible victoire l’encourage à prendre le débat au sérieux, à en faire un enjeu de conviction et non un jet de boue sur son adversaire.
L’obligation d’une autre posture pour Emmanuel Macron
Le match retour ne sera pas un mauvais remake de 2017 aussi parce que le candidat Emmanuel Macron n’est plus dans la même situation. Il sait que son matelas de voix de second tour est moins confortable qu’en 2017.
C’était ce matelas électoral de l’époque qui l’avait convaincu d’aller fêter sa victoire à la Rotonde dès le soir du premier tour, générant dès ce jour-là l’accusation d’arrogance qui allait lui coller à la peau tout son mandat. Il faut constater que l’image de ce dernier s’est dégradée en cinq années de présidence.
Quasi-inconnu en début de campagne en 2017, bénéficiant dans l’opinion d’une certaine bienveillance ou d’une suspension de jugement faute de certitudes sur le personnage, incarnant alors une possible rupture contestataire, il en va tout autrement en 2022. Les petites phrases blessantes contre les Français accumulées durant sa présidence, sa réaction au mouvement des « gilets jaunes » et sa gestion controversée de la dimension sanitaire de la pandémie ont abouti à ce qu’un bloc non négligeable de Français affirme détester Emmanuel Macron, l’assimilant à un « dictateur », à un « éborgneur de manifestants », à un « président des riches », à « un diviseur des Français »…
Des manifestants appellent désormais à un front anti-Macron. Sur Twitter un #ToutSaufMacron connaît du succès.
Les sondages ne prédisent donc plus une victoire éclatante à plus de 60 % des voix pour le candidat Macron. Et même si l’image de marque de Marine Le Pen reste bien plus controversée que celle de son adversaire, une comparaison de quelques items testés par l’IFOP en avril 2017 et avril 2022 montre que les écarts se resserrent là aussi.
Le Président sortant sera forcément en posture défensive
Emmanuel Macron se doit donc de convaincre pour ce second tour. On a bien vu d’ailleurs qu’il a été sur le terrain constamment depuis le 11 avril, là où il esquivait la campagne électorale de premier tour au nom de la situation internationale (qui n’a pourtant pas changé depuis).
Le débat participe de cette entreprise où il doit essayer de ne pas seulement profiter d’un réflexe de vote dit républicain, mais emporter un réel soutien. Il devra à cet égard ne pas lui laisser le point quand elle se présentera comme défendant les plus défavorisés contre celui qui n’incarnerait que les gens aisés qui vivent bien. Il se doit aussi de faire oublier les griefs qu’il a générés par ces petites phrases blessantes que Marine Le Pen ne manquera pas de rappeler aux téléspectateurs.
Terrain qu’il s’est déjà employé à déminer en faisant plusieurs fois acte de contrition, comme sur le plateau de TF1 le 15 décembre dernier. Toute morgue vis-à-vis de sa rivale lui semble donc interdite.
Le sortant, qui va donc se faire pilonner sur son bilan, aura cette fois à trouver le point d’équilibre entre une attitude offensive montrant qu’il est bien l’ennemi de l’extrême droite, mais sans tomber dans des travers qui alimenteraient encore l’image de mépris ou d’agressivité dont ses adversaires l’affublent.
Il doit aussi gérer les apparentes contradictions de discours. L’équipe Macron cherche ainsi ces derniers jours à rediaboliser Marine Le Pen quand Gérald Darmanin la considérait pourtant
Le débat télévisé ne sert pas à rien
Même si Jacques Gerstlé rappelle très bien que les débats confortent plutôt les électeurs dans leur choix, la séquence électorale de 2016-2017 a vu les débats télévisés jouer un rôle non négligeable et même décisif sur le vote. Certaines attitudes ou propos peuvent notamment (re)mobiliser les abstentionnistes et les hésitants, dans un sens ou un autre.
L’enjeu de ce débat n’est donc pas nul pour Emmanuel Macron car rappelons ce constat très simple : en 2017, le naufrage du débat a coûté 4 points à Marine Le Pen. Un mouvement symétriquement inverse ce soir ferait rentrer le résultat du scrutin dans les marges d’incertitude.
Ce débat est placé sous les auspices peu engageantes d’un vote de rejet contre rejet. Chaque candidat aura plus de deux heures pour tenter de faire adhérer à son projet les hésitants et les résignés votant par dépit. Le but ultime est que le vainqueur ne le soit pas que par défaut, obérant ainsi son mandat, en commençant par la dynamique électorale de confirmation des élections législatives.
Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Auteurs historiques The Conversation France
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