Débat : Face à la pénurie d’enseignants, repenser un système à bout de souffle
Beatrice Mabilon-Bonfils, CY Cergy Paris Université et Laurent Jeannin, CY Cergy Paris UniversitéDès 2005, l’OCDE prévoyait que des pays, dont la France, seraient en déficit d’enseignants dans les décennies à venir, à cause des départs en retraite au regard du vieillissement de la population enseignante et de la forte diminution de l’attrait pour le métier.
L’OCDE proposait alors une stratégie d’action en cinq axes : faire de l’enseignement un choix de métier attrayant ; renforcer les connaissances et les compétences des enseignants ; recruter, sélectionner et employer les meilleurs enseignants possibles ; retenir les enseignants de qualité dans les établissements scolaires et faire participer les enseignants à l’élaboration de la politique.
Ce programme d’ampleur montrait que la crise déjà identifiée allait fortement s’inscrire dans le paysage si les états ne prenaient pas les mesures nécessaires. Ces propositions sont-elles toujours d’actualité aujourd’hui ? Oui, et le rapport de l’Unesco de 2016 constatait que les politiques qui ont été menées n’ont pas permis de mettre un frein ni de diminuer la crise de motivation à devenir, à être et à rester enseignant, car elles étaient soit insuffisantes par rapport aux propositions de l’OCDE, soit très éloignées.
Depuis les années 2000, de multiples rapports et états de la recherche alertent que la crise est profonde et culturelle tant au niveau de la vocation comme de la persistance à exercer le métier d’enseignant. Si la stratégie choisie par les États est uniquement de mettre en activité le système (par exemple de proposer un catalogue de formation continue sans diagnostic objectif préalable pour répondre à la question de la formation, puis évaluer objectivement l’impact des transformations après ces dites formations), alors le manque d’enseignants motivés pour et par le métier ne fera qu’augmenter.
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La prise en compte des besoins réels en formation continue et en accompagnement de carrière est un point essentiel, car elle est un élément nécessaire au bien-être et aux conditions de travail de l’enseignant. En France, la notion d’évaluation des actions de formation continue des enseignants apparaît pour la première fois en février 2022 dans le schéma directeur 2022-2025 avec un chapitre dédié et une grille d’indicateurs dont la vision est celle de la mesure de la cible atteinte, au sens quantitatif du terme, et pas de l’impact des formations continues sur l’évolution du métier, des conditions de travail et des situations d’enseignement et d’apprentissage.
Une vocation en perte de vitesse
Les travaux de recherche des années 2000 portant sur la motivation à devenir enseignant, en première carrière, ou après une reconversion, montrent que ce sont les valeurs et intérêts pour le métier et la fonction du point de vue personnel et pour la société, la stimulation intellectuelle, la relation avec l’élève et les parents, et la vocation qui sont déterminants. Le salaire était le critère de motivation le moins évoqué par les étudiants ou les jeunes enseignants participant à ces études, comme en 1955 avec les travaux de Fielstra.
Dans le débat public, la question des salaires des enseignants, et plus particulièrement des débutants, a été vive en 2010, sous Luc Chatel et la réponse collective a été que ce sont aussi les conditions de travail et la représentation sociétale du métier et de la fonction qui sont en priorité à revoir. Le triptyque : sens et valeur du métier/fonction, conditions de travail et salaire est aussi évoqué en recherche comme étant la source première de démotivation à devenir et à rester enseignant.
D’autres travaux montrent qu’au-delà de la nécessité d’avoir un salaire au reflet des compétences, des connaissances et de l’engagement, les incitations monétaires ou primes individuelles en direction des enseignants au profit de la “performance” du système éducatif n’apportent pas les solutions attendues, tant au niveau du système lui-même, que du point de vue de la persistance à être et rester enseignant.
Des travaux sur l’état de santé des enseignants montrent des burn-out en progression, plus de démissions, un turn-over et un recours aux vacataires de plus en plus important. La recherche a identifié que, même pour les plus motivés, 40 % des démissions étaient faites au cours des cinq à six premières années d’exercice dans le métier.
Aujourd’hui, par nécessité de service public, l’État répond à un système sous tension depuis la fin des années 90, par des recrutements importants de vacataires et par un dispositif de formation en quelques jours et au fil de l’année dont nous pouvons collectivement nous accorder à dire qu’il n’est ni suffisant ni satisfaisant. Dans l’état actuel des choses, sans transformation majeure du système, comment pourrait-il en être autrement ? Quelles propositions envisager pour faire basculer la tendance ?
Des transformations profondes à opérer
Emmanuel Macron a annoncé à la réunion des recteurs le 25 août 2022, un salaire minimum de 2 000€, une rémunération supplémentaire pouvant aller jusqu’à 20 % pour des missions supplémentaires, des changements dans la formation et la mise en place d’un fond d’innovation pédagogique pour financer les projets d’établissements.
À l’anémie du système éducatif, l’état répond par des annonces qui ont déjà été faites, et qui n’ont pas permis d’éviter la situation. Le salaire de 2 000 euros, mais brut, pour les jeunes enseignants a déjà été mis en place sous Luc Chatel en 2012. La formation initiale des enseignants évolue depuis les années 90 avec pour succéder aux écoles normales, la création des IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres), leur intégration au sein d’Universités en 2005, en 2013 la création des ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation) et transformé en INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) en 2019.
En 2004, Courvoisier voyait la formation des enseignants comme un système en perpétuelle évolution mais enfermé dans ses rigidités d’organisation de la formation et de sa représentation du métier et du terrain. Est-ce encore valable aujourd’hui en formation initiale, continue et continuée ? Est-ce que la formation initiale et le concours sont les premières questions à se poser ? Ces étudiants inscrits en formation initiale au sein de Master pour devenir enseignant sont en première instance acquis à la cause. Encore faudra-t-il avoir le concours, résultante de la sélection initiale, de la formation universitaire et du terrain, et surtout que le système entretient leur motivation à rester et être enseignant.
À ce sujet, en novembre 2020, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports publiait qu’entre 2008 et 2018, le nombre d’enseignants démissionnaires avait triplé.
Est-ce que la revalorisation salariale promise, l’abaissement des exigences de recrutement avec la possibilité comme l’évoquait déjà la Cour des comptes en 2018 de recruter les enseignants à Bac+3 et les incitations financières individuelles à hauteur de 20 % permettront de faire évoluer la perception de la société sur l’intérêt général du métier d’enseignant, tant au niveau de la formation des générations à venir que sur la perception d’un métier reconnu comme dernier recours, à niveau d’études similaires, avec un niveau de complexité plus important ? Est-ce que les mesures annoncées vont permettre de faire diminuer les démissions ?
Pour l’Unesco (2016), cette politique de lutte contre la pénurie d’enseignants passe par la mise en place d’un socle commun, collectivement construit, et de conditions minimales d’enseignement et d’apprentissage en prenant en compte les conditions réelles d’exercice. Il s’agit aussi de proposer davantage de perspectives d’évolution de carrière et de mettre en place un système d’obligation de rendre des comptes et d’appréciation qui pourrait se comprendre par un dialogue entre l’enseignant, l’éducation nationale et les collectivités, dont le but serait que le système soit au service des projets professionnels et pédagogiques de celui-ci accompagné par sa hiérarchie : directeur/trice ou chef d’établissement et inspection. L’Unesco incite aussi à accroître la contribution des enseignants aux décisions à tous les niveaux et à instaurer plus de collaboration et de formation continue entre pairs.
Au-delà de l’épisode politique et médiatique réagissant à une lame de fond qui est à la porte de nos territoires – et aucun ne semble pouvoir y échapper – c’est la qualité du diagnostic et des plans d’actions correctives pour faire évoluer le système que nous devons désormais collectivement observer et analyser pour permettre à l’ensemble des acteurs de se réguler : état, rectorat, établissement, équipe éducative, enseignants, élèves et parents. Pour l’état, il a été un enjeu fort à la rentrée de couvrir l’ensemble des besoins en enseignants. Il en est encore un plus grand pour nous citoyens, c’est d’observer et analyser comment l’état va conserver et développer leurs motivations et engendrer de nouvelles vocations.
Quelle sera la politique mise en place après ce plan correctif d’actions en urgence ? Et plus généralement, quelle sera la politique de planification et d’évaluation objective au sens d’une politique de résultats mise en place dans le cadre du renouvellement de la motivation à être enseignant, pompiers, infirmier, médecin, chauffeur de bus… ?
Nous conclurons avec les propos de Postic (1990) pouvant s’appliquer à un très grand nombre de professions :
« Choisir une profession, c’est attribuer un sens à une fonction sociale qu’on situe par rapport à sa vie, c’est prendre place dans une structure sociale et dans un système de relations interpersonnelles, dans le but de construire une image de soi. » (p.26)
Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université et Laurent Jeannin, Maitre de conférences-HC, CY Cergy Paris Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.