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De la domination masculine dans les couples adolescents

Une enquête universitaire décrypte les relations amoureuses des très jeunes couples. Saydung89, CC BY
Silvia Molina Roldán, Universitat Rovira i Virgili; Garazi Lopez de Aguileta, University of Wisconsin-Madison; Itxaso Tellado, Universitat de Vic – Universitat Central de Catalunya; Leire Ugalde Lujambio, Universidad del País Vasco / Euskal Herriko Unibertsitatea; Lidia Puigvert Mallart, Universitat de Barcelona; Miguel Ángel Pulido, Universitat Ramon Llull; Ramón Flecha García, Universitat de Barcelona et Sandra Racionero-Plaza, Universitat de Barcelona

Une enquête espagnole analyse les mécanismes par lesquels la domination masculine s’impose au sein de groupes d’adolescents et pourquoi certaines jeunes filles entrent dans une relation « dévalorisante » avec un garçon dominateur ou même violent.


Pourquoi des adolescentes tombent amoureuses de garçons qui se comportent mal avec elles ? Les réseaux sociaux, les médias, la pression des jeunes de leur âge et les fausses amitiés favorisent ces « relations dévalorisantes ».

Lorsqu’ils entrent dans l’adolescence, garçons et filles reçoivent en masse des messages qui associent attirance et violence, que ce soit de leurs camarades, des séries, films, chansons ou réseaux sociaux. Ces messages font l’apologie des garçons qui adoptent une attitude violente et dévalorisante envers les filles, plutôt que ceux qui les mettent sur un pied d’égalité et leur témoignent du respect.

On le voit par exemple dans le film After, adapté d’une série de romans pour jeunes adultes. Depuis le lycée, la protagoniste a un gentil petit copain qu’elle traite comme un ami, sans lui manifester de désir. En arrivant à la fac, elle le trompe avec un séduisant bad boy. Le fiancé se montre compréhensif, ce qui lui donne l’air de manquer d’assurance. Puis la jeune fille s’aperçoit que son nouvel amant n’a couché avec elle que pour relever un pari, ce qui ne le rend pas moins séduisant, car il semble « être vraiment tombé amoureux d’elle ».

L’influence du discours dominant coercitif

Le « discours dominant coercitif », qui consiste à associer l’attirance physique à la violence et au mépris, s’observe dans différents milieux et sous différentes formes. L’exposition prolongée à ce type de discours amène les jeunes filles à trouver attirants les jeunes hommes violents et à nouer avec eux des relations affectives et sexuelles toxiques.

Dans une étude récente, nous avons analysé les mécanismes par lesquels ce discours dominant coercitif se manifeste dans un groupe, poussant certaines filles à entamer une relation sentimentale ou sexuelle « dévalorisante » avec un garçon qui les traite mal et fait preuve de violence, et les conséquences de ce discours.

Pour ce faire, nous avons recueilli les expériences de 59 adolescents et 71 adolescentes en classe de seconde (15 et 16 ans) dans trois lycées, et nous leur avons demandé de nous parler de leurs interactions avec leurs camarades.

Le mot « camarades » s’entend ici comme l’ensemble des personnes d’âge similaire avec lesquelles ces lycéens partagent des activités et des centres d’intérêt communs, au lycée ou en dehors, et avec lesquelles ils socialisent et construisent leur identité.

Pourquoi suis-je attirée par les garçons qui me traitent le plus mal ?

Les gens de leur âge sont un facteur de socialisation et d’apprentissage majeur pour les jeunes. La pression et l’influence qu’ils exercent sur leur comportement amènent certaines adolescentes à sortir malgré elle avec des garçons violents.

Les gens de leur âge exercent aussi une pression sur les jeunes filles en leur répétant que ce qui leur plaît vraiment, ce sont les garçons qui affichent des attitudes et des comportements violents. Elles finissent donc par être attirées, ou se croire attirées, par ce genre de garçons qui ne leur plaisaient pas jusque-là. Cette pression contribue à la normalisation et l’acceptation des comportements violents, conduisant parfois les adolescentes à y voir de l’amour et entretenir des relations toxiques.

Cette pression résulte aussi de l’influence des messages auxquels les jeunes sont exposés sur les réseaux sociaux et dans les médias.

« J’ai vu des séries où la fille sort avec un garçon qui la traite mal et finit par la quitter. Il lui dit qu’elle est moche. Pendant ce temps, un autre garçon de sa classe passe son temps à la regarder. Il lui plaît mais elle ne se rend pas compte que c’est réciproque (une jeune fille participant à l’étude).

Quant aux garçons, ils subissent aussi la pression d’un modèle de masculinité violente et méprisante à suivre s’ils veulent séduire et avoir du succès auprès des filles.

La peur d’être insipide

Si une adolescente est dans une relation stable avec un compagnon non violent, le discours dominant coercitif la qualifie d’« insipide », et fait pression sur elle pour qu’elle trompe son copain et qu’elle sorte avec un garçon violent, sous prétexte que « c’est drôle », comme l’expliquent les jeunes filles de l’étude.

Ces comportements violents consistent à se vanter d’avoir dragué une fille avant de la rabaisser, ou à rabaisser après coup la fille avec laquelle ils sont sortis, à lui parler mal ou à lui manquer de respect devant d’autres personnes ou en tête à tête.

Il arrive que des adolescentes finissent par céder à ces pressions en sortant avec un garçon qu’elles n’aiment pas et en trompant celui qu’elles aiment, par crainte de passer pour insipides aux yeux de leur entourage et de perdre leurs amies. Parfois, les amies en question ne s’en tiennent pas là.

On bascule alors dans le harcèlement : elles prennent en photo les deux adolescents pendant qu’ils s’enlacent ou se trouvent dans une situation d’intimité qui laisse penser qu’ils sortent ensemble, puis l’envoient au petit copain de la jeune fille, la publient sur Internet, ou l’envoient à d’autres personnes, ce qui officialise la tromperie et nuit à la relation du couple.

Les conséquences sur la santé

La science a démontré que la violence de genre a des effets négatifs sur la santé, comme des douleurs chroniques, un plus grand risque de maladies sexuellement transmissibles, un état dépressif et des tendances suicidaires, entre autres.

Environ 27 % des femmes et des jeunes filles âgées de 15 à 49 ans ont subi une forme de violence physique ou sexuelle, d’où la nécessité de repérer les facteurs qui augmentent le risque de violence de genre, notamment chez les filles les plus jeunes, qui vivent leurs premières relations.

Notre étude montre que les flirts dévalorisants font partie de ces facteurs, car ils socialisent les jeunes filles dans l’idée d’une violence normalisée et attirante. En outre, si des preuves de ces relations sont largement diffusées en ligne, elles collent à la peau de la jeune fille pour toujours, parfois au prix de lourdes conséquences sur sa santé. Pour reprendre les mots de l’une d’elles : « Cette photo te suit jusqu’à la tombe. Il y a des gens qui finissent par se suicider, parce que ça fait hyper mal. »

L’amitié (saine) comme élément de prévention

La pression exercée sur les jeunes filles pour les pousser vers des flirts dévalorisants accroît la probabilité qu’elles deviennent victimes de violence de genre. Comme les jeunes de leur entourage ont énormément d’influence sur elles, il faut intervenir préventivement au sein du groupe.

Lors de l’étude, les jeunes filles évoquent « la pression de leurs amies » ou « la peur de perdre leurs amies », mais elles disent aussi que celles qui les poussent à avoir une relation avec quelqu’un qu’elles n’aiment pas ne sont pas de « vraies amies ».

Cette étude, de même que d’autres travaux estiment que le fait de nouer des amitiés solides dès le plus jeune âge est un facteur important de protection et de prévention en matière de violence de genre.


Traduit de l’espagnol par Métissa André for Fast ForWord

Silvia Molina Roldán, Profesora Titular en Educación, Universitat Rovira i Virgili; Garazi Lopez de Aguileta, PhD and teaching assistant, University of Wisconsin-Madison; Itxaso Tellado, Profesora Agregada, Universitat de Vic – Universitat Central de Catalunya; Leire Ugalde Lujambio, Profesora Agregada en la Facultad de Educación, Filosofía y Antropología, Universidad del País Vasco / Euskal Herriko Unibertsitatea; Lidia Puigvert Mallart, Catedrática de Sociología, Universitat de Barcelona; Miguel Ángel Pulido, Profesor en la Universitat Ramon Llull, Facultat de Psicologia Ciències de l'Educació i de l'Esport Blanquerna, Universitat Ramon Llull; Ramón Flecha García, Catedrático Emérito de sociología, Universitat de Barcelona et Sandra Racionero-Plaza, Profesora agregada. Socioneurociencia, Universitat de Barcelona

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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