Vue d'artiste de l'océan martien. F. Schmidt / NASA / USGS / ESA / DLR / FU Berlin (G. Neukum), Author provided
Frédéric Schmidt, Université Paris-SaclayS’il est maintenant admis que le lointain passé de Mars comportait de l’eau liquide, la présence d’un océan aussi récent que 3 milliards d’années semblait impossible. Pourtant, nous venons de publier une étude dans la revue scientifique PNAS qui montre le contraire, en permettant de simuler le système climatique martien de cette époque. A la même période sur Terre, la vie s’est développée pour conquérir un grand nombre d’écosystèmes.
Le climat était vraisemblablement froid sur les continents équatoriaux, mais l’océan polaire a pu rester liquide, comme le montre un certain nombre d’indices géologiques. Dans ce scénario, notre planète sœur aurait aussi pu être largement propice au développement de la Vie avant de devenir la Planète rouge. Un océan stable apporterait l’eau liquide nécessaire à la Vie sur des grandes échelles de temps en tant que solvant chimique, mais aussi pour protéger des radiations stellaires. Ces conditions semblent nécessaires, mais certainement pas suffisantes et l’apparition de la Vie est une question ouverte de la Science du XXIème siècle. Il faut rappeler qu’à ce jour, aucune trace de Vie n’a été découverte ailleurs que sur Terre, que ce soit sur Mars ou n’importe où dans l’Univers.
La présence d’eau liquide sur Mars il y a 3.5-4 milliards d’années (à l’ère géologique nommée Noachienne) est attestée par la présence de vallées ramifiées. Ces vallées sont formées par de l’eau liquide, le plus généralement sous forme de pluie ou de fonte de neige. L’écoulement de l’eau produit de petites rivières au profil d’érosion en V qui fusionnent pour devenir des rivières plus grandes et ainsi de suite : le paysage final est un réseau de vallées ramifiées, se jetant parfois dans des lacs.
Les vallées glaciaires, quant à elles, sont de formes différentes dues à l’érosion glaciaire massive, au profil en U et moins ramifiées. Pourquoi Mars a pu garder traces de ces processus si lointains dans le temps alors que c’est impossible sur Terre ? Sur Terre, nous avons la tectonique des plaques, qui a rassemblé tous les continents il y a 200 millions d’années en un supercontinent : la Pangée. Par conséquent, sur Terre, il est impossible de trouver des paysages plus anciens. Sur Mars, la tectonique des plaques n’existe pas et les paysages restent figés en accumulant progressivement les stigmates du temps.
Un océan dans l’hémisphère Nord de Mars
La présence dans l’hémisphère Nord d’un océan polaire est controversée, mais plusieurs équipes ont identifié une ancienne ligne de rivages cohérente. Récemment, une nouvelle découverte a été faite : l’identification de dépôts de mégatsunamis, indiquant indirectement la présence d’un océan, et même l’identification du cratère d’impact à l’origine de ce dépôt. Le cratère de Lomonosov a une forme particulière qui indiquerait sa formation dans un océan. L’âge estimé est de 3 milliards d’années à la fin de l’ère géologique appelée Hesperienne.
Comment estimer l’âge d’une surface planétaire ? Les astrogéologues utilisent la méthode de comptage de cratère basée sur un principe très simple : les cratères s’accumulent avec le temps. Une surface ancienne est donc une surface plus cratérisée qu’une surface jeune. Cette méthode donne âge relatif (plus ancien/plus jeune), mais pour avoir un âge absolu, il faut avoir la correspondance entre la densité de cratère et un âge d’exposition. Ce travail-là a pu être fait sur la Lune d’après les datations absolues des échantillons ramenées sur Terre. Pour Mars, un travail de modélisation a permis d’établir la correspondance entre densité de cratère et âge absolu.
La controverse scientifique majeure à propos de l’océan martien provient du fait que les précédentes modélisations climatiques ne permettaient pas de simuler un océan stable à cette période : toute l’eau s’accumulait sur les montagnes sous forme de neige. Notre étude publiée dans le journal PNAS, menée en collaboration entre une équipe de l’Université Paris-Saclay/CNRS/GEOPS et du NASA/GISS vient de construire une simulation de climat, comportant deux nouveaux ingrédients essentiels : la circulation océanique et les glaciers. En ajoutant ces deux processus, ces nouvelles simulations climatiques montrent un océan stable dans l’hémisphère Nord, même pour des températures moyennes de Mars inférieures à 0 °C. L’océan, malgré sa position polaire, ne gèle pas grâce aux courants océaniques qui ramènent de l’eau chaude vers les pôles. D’autre part, ces simulations prédisent la présence de glaciers qui ramènent la glace des hauts-plateaux vers l’océan. Ces prédictions sont en accord avec les interprétations géologiques des images qui indiquent la présence de ces vallées glaciaires.
Modéliser le climat de Mars
Simuler le climat de Mars il y a 3 milliards d’années n’est pas une mince affaire. Il faut se munir d’une représentation numérique du climat, basée sur des principes physico-chimiques, du même type que celles utilisées pour simuler le climat terrestre, mais adaptées à Mars. Il faut tenir compte du fait que d’une part Mars est plus loin du Soleil que la Terre et reçoit donc moins d’énergie, et que d’autre part le soleil éclairait moins qu’aujourd’hui. Dans ces conditions, l’éclairement solaire de Mars à cette époque est seulement un tiers de ce que reçoit la Terre aujourd’hui.
Pour obtenir des conditions tempérées et de l’eau liquide en surface, le flux solaire plus faible doit être compensé par des gaz à effet de serre importants, et une forte densité atmosphérique. Une pression atmosphérique de 1 bar (comme sur la Terre actuelle, mais 100 fois plus qu’actuellement sur Mars) est nécessaire pour avoir de l’eau liquide, mais le CO2 (dominant actuellement sur Mars) n’est pas assez puissant à lui seul pour atteindre le point de fusion de l’eau (0 °C). Un autre gaz à effet de serre puissant est nécessaire : l’équipe scientifique a donc utilisé dans son modèle une atmosphère avec 90 % de CO2 et 10 % de H2. Ce gaz à effet de serre très puissant aurait pu être relargué par le volcanisme intense de l’époque ou le dégazage lors des impacts météoriques.
Les résultats montrent que le climat continental aurait dû être le suivant : une zone chaude et humide à proximité du rivage, avec des températures moyennes annuelles supérieures à 0 °C et de la pluie. Une zone froide et sèche avec des températures inférieures à 0 °C sur tous les hauts plateaux de l’hémisphère sud de Mars. Dans cette seconde zone, les montagnes les plus hautes accumulaient de la neige qui se transformait en glacier s’écoulant vers l’océan pour boucler le cycle. Les prédictions de ce climat sont en accord avec la présence de réseaux de vallées ramifiées proches des côtes et la présence de grandes vallées glaciaires issues des zones d’accumulation de neige.
L’histoire des éléments volatils (liquide, glace, gaz) sur Mars et de l’eau n’est manifestement pas parfaitement comprise au cours de l’histoire martienne. Quelle est la quantité d’eau disponible au cours du temps ? Sous quelle forme est-elle : glace, liquide, permafrost, minéraux hydratés ? Cette publication scientifique suppose qu’il y avait assez d’eau pour un océan, mais ce qui est arrivé à cette eau par la suite est un grand mystère ! Plusieurs hypothèses peuvent être formulées : l’échappement de l’atmosphère dans l’espace, le stockage souterrain sous forme de glace (permafrost) ou de minéraux hydratés. De toute évidence, l’eau des réservoirs actuels martiens issue des calottes polaires et des glaciers ne suffit pas pour alimenter un océan.
Pour compléter cette étude, nous souhaitons maintenant scruter plus précisément les indices des vallées glaciaires martiennes de cette époque à partir des images satellites. Le rover chinois Zhurong a atterri en mai 2021 dans la région du paléo-océan. Nous nous attendons à trouver des preuves de l’océan dans les roches qu’ils examineront. Prochainement, dans moins d’une dizaine d’années, Mars Ice Mapper, le nouveau projet de mission de la NASA doté d’un sondeur radar sans précédent, sera capable d’étudier la structure du sous-sol. Cette mission nous donnera sûrement de nouveaux arguments à propos de l’océan martien !
Frédéric Schmidt, Professeur, géologie des surfaces planétaires, Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.