La température en ville peut monter très haut. Image thermique d'une rue en ville: la chaussée, les toitures et les voitures au soleil sont des surfaces très chaudes, les arbres et les parties à l'ombre, beaucoup moins. P. Verchere, Fourni par l'auteur
D'où vient le pouvoir rafraîchissant des arbres en ville ?
Tania Landes, INSA StrasbourgL’été, en particulier par ciel clair et vent faible, caractéristique des situations anticycloniques, la température en ville peut augmenter bien plus que dans les campagnes alentour. C’est l’effet d’« îlot de chaleur urbain ». En cause, la très faible proportion de surfaces végétalisées, la présence de bâtiments et la nature des matériaux urbains, comme le bitume noir par exemple, qui augmentent le stockage de la chaleur dans les bâtiments et le sol.
Qui n’a jamais ressenti le besoin de se réfugier dans un parc arboré en période de fortes chaleurs ? C’est parce que l’augmentation de chaleur peut être en partie contrebalancée par la végétation. Les arbres rafraîchissent l’environnement grâce aux ombres portées sur les passants et les façades, et leur capacité à maintenir une température de feuillage raisonnable, car ils régulent leur propre chaleur… en transpirant.
L’arbre ne rafraîchit pas directement l’air : il empêche l’air de s’échauffer !
La transpiration est un phénomène physiologique par lequel un arbre émet de l’eau dans l’air, sous forme gazeuse, par l’intermédiaire de ses feuilles, afin de réguler sa température quand il fait chaud et pour assurer la circulation de la sève brute et minéralisée qui provient des racines en direction de tous les organes de la plante.
Ce processus demande à l’arbre un apport en eau constant et suffisant, en puisant l’eau du sol. C’est important car la photosynthèse, qui fabrique une partie des nutriments de l’arbre, ne peut avoir lieu qu’à condition que la « cavité stomatique », qui se trouve à la surface des feuilles et qui assure les échanges gazeux avec l’atmosphère, reste humide ; et c’est la transpiration qui assure cette humidité.
Toutefois, l’effet de l’environnement de l’arbre sur la transpiration des feuilles, par exemple, reste mal connu et notamment en milieu urbain.
Le bénéfice rafraîchissant de l’arbre est essentiellement diurne : d’une part il fournit de l’ombre, d’autre part il transpire. Dans le cas de la transpiration, c’est l’énergie que l’évaporation de l’eau exige qui permet de réduire l’échauffement des feuilles et les maintient à une température proche de celle de l’air, ce qui réduit l’échauffement de la rue et augmente très légèrement l’humidité de l’air autour de l’arbre.
Si l’effet rafraîchissant des arbres n’est bien évidemment plus à prouver, il varie au fil de la journée (notamment la nuit) et il reste à être quantifié. Par exemple, la nuit, le feuillage forme un « écran » qui empêche la chaleur stockée dans le sol de s’échapper vers le ciel sous forme de rayonnement infrarouge, ce qui limite le refroidissement de la zone qui est directement recouverte par le feuillage.
L’étude des interactions entre les arbres et leur environnement devrait nous permettre d’identifier des méthodes de plantations pour améliorer les conditions de vie et de confort des citadins lors des épisodes de fortes chaleurs, et contribuera à répondre à une question qui commence déjà à se poser : quelle(s) espèce(s) d’arbre planter, en quelle quantité et dans quelles configurations par rapport aux bâtiments ou aux chaussées ? L’heureuse élue – ou, plus probablement, les heureuses élues – devront être capables de résister aux fortes chaleurs sans exiger trop d’eau, mais aussi de procurer de l’ombre et de la fraîcheur grâce à l’évapotranspiration.
Des arbres dans les parcs
Entre 2017 à 2021, nous avons étudié le rôle des tilleuls argentés ou Tilia tomentosa dans un parc urbain, celui de l’université à Strasbourg, pour évaluer et modéliser l’évapotranspiration et l’ombrage d’une espèce d’arbre particulière en tenant compte de l’environnement du parc, par exemple l’implantation des arbres, l’emplacement des pelouses, la géométrie des bâtiments et des rues alentour.
Nous avons mesuré précisément la forme des arbres en 3D et d’autres paramètres éco-physiologiques et météorologiques. Ainsi, nous avons pu vérifier que nos modèles de microclimat urbain à l’échelle d’un quartier (LASER/F) d’une part et d’évapotranspiration à l’échelle de l’arbre individuel (RATP) d’autre part étaient adéquats. La fusion de ces deux modèles, baptisée LASER·T, nous permet de calculer les flux de chaleur et d’énergie entre les différents éléments (arbres et bâtiments par exemple), l’évapotranspiration des végétaux, les températures de surface des bâtiments et le confort thermique.
Des arbres dans les rues
Nous nous tournons aujourd’hui vers le rôle des « arbres d’alignement », ces arbres qui se suivent dans la rue et qui sont souvent de la même espèce. Ceux-ci impactent le microclimat de la rue – ombre, humidité, vent. Et vice versa, la physiologie des arbres est affectée par la géométrie des rues – largeur de la rue, hauteur des immeubles, les couleurs des murs et la qualité du sol notamment.
Par exemple, en été, lorsque le soleil se lève, il va d’abord chauffer les toits et les arbres. Les arbres profitent de cette chaleur pour leur photosynthèse et en même temps, ils font bouclier pour les façades, en les gardant à l’ombre des rayons grâce à leur houppier. Ainsi, un arbre feuillu à proximité d’une façade procurera un confort thermique plus important aux résidents du bâtiment. Il rafraîchira également le sol par son ombre portée. En début de soirée, le bâtiment restituera à l’ensemble de la rue et donc également à l’arbre, la chaleur qu’il a emmagasinée durant toute la journée sous forme de rayonnement infrarouge, comme évoqué ci-dessus. Ceci illustre le rôle ambivalent joué par l’arbre.
Plus il y aura d’arbres dans l’alignement, plus l’effet rafraîchissant sera remarquable en journée – la température ressentie peut être réduite de 2 °C au minimum.
Ainsi, dans le projet TIR4sTREEt (Thermal InfraRed for Street Trees) qui rassemble plus de 15 scientifiques de divers horizons, nous cherchons à reproduire l’impact physique des bâtiments et des arbres de rue sur le microclimat urbain, grâce à des mesures et des modélisations 3D du site.
Pour cela, nous avons sélectionné six arbres dans trois rues d’un quartier résidentiel de Strasbourg : des micocouliers, des platanes et des tilleuls. Nous les avons équipés de nombreux capteurs afin de suivre au fil des saisons pendant deux ans au moins leur état de santé, leur croissance, l’humidité et la température alentour, le rayonnement, leur température de surface ainsi que celle des bâtiments et voirie, etc.
Des capteurs pour mieux comprendre les arbres en ville
Comme on l’a vu, les arbres ont un effet rafraîchissant du fait de la transpiration, dont le comportement en ville est encore peu connu, et du fait de l’ombre portée au sol ou sur les façades.
En mesurant régulièrement la température de surface des arbres et des façades environnantes avec des capteurs dans l’infrarouge « thermique », nous pouvons en déduire les variations spatiales et temporelles. Des capteurs météorologiques nous donnent les variables classiques comme la température de l’air, la vitesse du vent le rayonnement solaire (etc.) qui nous permettent d’établir le microclimat qui règne dans nos sites.
Grâce à des capteurs de flux de sève, nous pouvons mesurer la vitesse de montée de la sève dans l’arbre, qui est directement corrélée à la transpiration de l’arbre. Des capteurs installés dans le sol nous fournissent l’état hydrique et la température des différents horizons jusqu’à un mètre de profondeur.
Tous ces dispositifs nous donnent une vision assez complète du continuum plante-atmosphère et ils alimentent une base de données qui servira à étayer nos analyses. A moyen terme, ce projet permettra de guider les décideurs dans le choix des espèces d’arbres et des scénarios de plantation les plus adaptés.
Tania Landes, Professeure des universités en topographie, INSA Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.