Un coureur professionnel de l'équipe cycliste Groupama-FDJ participe aux tests en laboratoire. Fourni par l'auteur
Cyclisme : et si on entraînait, aussi, le cerveau des coureurs ?
Sidney Grosprêtre, Université de Franche-Comté – UBFCLe tour de France connaîtra son vainqueur ce dimanche. Cette année, la lutte entre les deux favoris Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard a été extrêmement serrée et quelques secondes séparaient les deux coureurs avant que Vingegaard n’écrase la course pendant l’étape du contre la montre. Au-delà de l’entraînement classique, et si les sciences permettaient de gagner ces quelques secondes qui peuvent faire toute la différence ?
En effet, si l’optimisation des performances sportives est souvent, à tort, attribuée uniquement à l’amélioration de nos capacités musculaires, elle dépend tout autant d’un autre élément qui compose notre corps : le système nerveux central, composé du cerveau et de la moelle épinière.
L’optimisation de cet important système est aujourd’hui au centre de toutes les attentions par les entraîneurs de haut niveau. En cyclisme, si la modulation de la performance a souvent été principalement attribuée à des facteurs physiologiques et biomécaniques, un nombre croissant d’études démontrent l’importance cruciale d’autres facteurs, notamment psychologiques. La perception de l’effort, par exemple, se caractérise par une sensation subjective de l’intensité de l’effort musculaire à fournir pour produire une performance donnée. Ce facteur, hautement important en cyclisme, se mesure habituellement par l’utilisation d’échelles subjectives. Les cyclistes ont d’ailleurs leur propre échelle, utilisée par la Fédération française de cyclisme : l’échelle d’estimation subjective de l’intensité de l’effort (ESIE) développée par Frédéric Grappe, chercheur et directeur de la performance à l’équipe cycliste Groupama-FDJ. C’est cette perception fine de l’effort qui permet notamment aux cyclistes d’ajuster finement la commande musculaire et la gérer durant de longues épreuves.
Un effort très cérébral
Cette commande motrice, qui contrôlera in fine la puissance musculaire, est également régulée via les différentes structures qui jalonnent le parcours de l’influx nerveux des aires motrices jusqu’à notre muscle, en parcourant la voie cortico-spinale. Dans l’autre sens, un certain nombre d’informations sensorielles remontent également en direction du système nerveux central et permettent d’ajuster la commande au fur et à mesure de ses sensations. On parle alors de boucle sensori-motrice, notre effort étant régulé en permanence grâce à un va-et-vient entre le cerveau et le muscle des informations sensorielles (ascendantes) et motrices (descendantes).
Ainsi, l’importance du système nerveux central dans la performance, particulièrement en cyclisme, ne semble plus à démontrer. Pourtant, il y a encore de nombreuses choses à découvrir sur le sujet, étudiées depuis peu. Après des décennies de travaux sur l’optimisation de la préparation physique, la clé du succès, celle qui façonnera le champion de demain, est peut-être là. Laissez-moi alors vous révéler quelques secrets d’entraînement cérébral chez le sportif.
Ces méthodes d’entraînement se focalisant sur le système nerveux central, et plus particulièrement le cerveau, certaines équipes cyclistes professionnelles les ont bien intégrées. C’est le cas de l’équipe Groupama-FDJ, qui est par ailleurs partenaire de notre laboratoire de recherches en sciences du sport. Ici, chercheurs et entraîneurs travaillent de pair pour optimiser tous les paramètres de la performance en cyclisme, du matériel (le vélo bien sûr) à l’environnement (travail en hypoxie, au chaud, ou au froid), en passant bien sûr par l’athlète lui-même. Concernant ce dernier, son cerveau est alors mis à rude épreuve via des techniques d’entraînement dignes d’un film de science-fiction.
Parmi celles-ci, on trouve les techniques qui s’appuient sur l’enregistrement de l’activité cérébrale via électro-encéphalographie (EEG). Il s’agit de poser un bonnet sur la tête du sportif, bardé d’électrodes qui vont capter l’activité électrique des neurones de différentes parties du cerveau. Cette activité se caractérise par des ondes de différentes fréquences (appelées alpha, bêta, gamma, etc.) qui représentent les différents états de l’athlète : éveillé, endormi, en activité cognitive intense, etc. Cette technique apporte des informations non négligeables sur la manière dont l’athlète gère son effort.
Ainsi, si jusqu’à présent nous utilisions uniquement des échelles subjectives pour quantifier la perception de l’effort, nous avons maintenant un moyen de la mesurer objectivement.
Mais cela ne s’arrête pas là, car ce signal cérébral va alors être utilisé par l’athlète lui-même pour réguler son effort. Il sera diffusé sur un écran que l’on placera devant l’athlète afin qu’il puisse visualiser son activité cérébrale pendant son effort. Pour utiliser cet outil, nul besoin de connaissances approfondies en neurologie, l’interface d’affichage du signal est simplifiée (par exemple une jauge qui monte quand le signal augmente). Ainsi, l’athlète n’a pas à interpréter le signal, c’est le travail du chercheur, il trouvera par lui-même la stratégie mentale qui lui permettra de contrôler son cerveau et ainsi ajuster plus finement sa puissance ! Apprendre à contrôler la manière dont notre cerveau s’active permettra le jour J d’avoir une commande motrice optimale. En effet, la puissance développée dépend fortement de la quantité d’impulsions électriques envoyées par le cerveau. Le cerveau est aussi un gros consommateur d’énergie, apprendre à l’utiliser avec efficience (juste ce dont on a besoin) est une manière de réduire sa dépense énergétique au minimum requis.
Répéter une course mentalement c’est comme la faire
Cette technique d’entraînement neuroscientifique, appelée neurofeedback, s’appuie sur des modèles informatiques appelés brain computer interfaces (BCI). Mais ces approches sont très nouvelles dans l’entraînement sportif et méritent encore d’être améliorées. C’est notamment le travail des chercheurs de notre laboratoire, comme Victor Scholler, Alain Groslambert, Frédéric Grappe ou moi-même.
Concernant l’entraînement cérébral chez le sportif, si les méthodes basées sur les BCI sont en vogue et très prometteuses, il existe aussi des moyens plus simples et dépourvus de tout outillage technologique. L’une des méthodes les plus connues consiste à s’imaginer faire une action, sans toutefois la faire, et est appelée imagerie motrice (IM). L’IM est connue pour activer de nombreuses zones cérébrales également liées au contrôle du mouvement volontaire réel.
Récemment, nous avons même montré que l’activation neuronale de l’IM impliquait une plus grande partie de la voie corticospinale que prévu, dont certains circuits de la moelle épinière. Par conséquent, l’IM devrait être un bon stimulus pour améliorer la composante neuronale de la performance cycliste. Ainsi, visualiser le trajet d’une course avant l’épreuve permet de préchauffer les bons circuits nerveux et ainsi de mieux appréhender les passages techniques. Car pour notre cerveau, répéter une course mentalement, c’est comme la faire pour de vrai.
D’autres types d’interventions cognitives peuvent également convenir pour promouvoir la plasticité nerveuse qui pourrait être bénéfique au cyclisme. Parmi eux, l’observation de l’action, c’est-à-dire l’observation d’un tiers ou d’un enregistrement vidéo de l’action, pourrait également être un moyen de cibler la plasticité neuronale pendant l’entraînement cycliste. En effet, depuis les travaux de Rizzolati et de ses collègues au début des années 1990 sur les neurones miroirs, des neurones du cortex cérébral qui s’activent à la fois quand on réalise une action et quand on l’observe, il existe de nombreuses preuves de l’activation du système moteur pendant l’observation d’une action. Pour le cycliste, il s’agit alors de pouvoir perfectionner son mouvement, optimiser la synchronisation de ses contractions musculaires, ou tout simplement mieux mémoriser son parcours.
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Ainsi, après des décennies à avoir focalisé notre attention sur le muscle du sportif, il se pourrait à présent que l’avenir de l’entraînement sportif soit également dans l’optimisation d’un autre organe non moins important : le cerveau. Cela n’intéresse pas que le cyclisme, mais également de nombreuses autres disciplines, parfois diamétralement opposées. C’est le cas du parkour, une discipline de franchissements d’obstacles en milieu urbain. Notre laboratoire travaille également sur l’optimisation la performance en parkour, en étant partenaire de la fédération française de Parkour. Les chercheurs du laboratoire ont ainsi pu montrer que la stimulation électrique cérébrale améliorait les performances de saut des pratiquants du parkour.
Quoi qu’il en soit, toutes ces techniques, qui peuvent paraître futuristes, sont bien l’objet de toutes les attentions d’aujourd’hui dans l’entraînement sportif quotidien. À l’heure où le tour de France bat son plein, à un an des JO 2024 à Paris, on peut se demander quel sera l’entraînement de demain et comment l’athlète sera façonné. Sans aucun doute, les performances cérébrales joueront un rôle clé, et les entraîneurs deviendront de vrais experts en neurosciences ! Mais d’ici à ce que nous ayons totalement percé tous les mystères du cerveau, de nombreuses et belles années de records sont encore devant nous.
Sidney Grosprêtre, Maître de conférences en neurophysiologie, Université de Franche-Comté – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.