Gary le chat a près de 440 000 abonnés sur Instagram. Avec son humain, il fait du ski, de la planche à pagaie et de la randonnée dans les Rocheuses. Il fait partie de ce qu'on appelle l'économie du «cute». (CBC/James Eastham)
Ghalia Shamayleh, Concordia University et Zeynep Arsel, Concordia UniversityEst-ce qu’un des derniers messages directs que vous avez reçus sur Instagram était une vidéo de canetons portant des fleurs en guise de chapeaux ou
Si vous adorez partager du contenu d’animaux mignons, sachez que vous n’êtes pas seuls : vous faites partie d’un vaste phénomène culturel appelé l’économie du « cute », ou du mignon.
Elle consiste non seulement en un réseau de personnes qui créent, partagent et font circuler du contenu, mais aussi en une industrie de plusieurs milliards de dollars qui a vu le jour grâce à la capacité des créateurs de monétiser le contenu affiché.
Qu’est-ce que l’économie du « cute » ?
Le chercheur en médias James Meese définit la l’économie du « cute » comme étant la création et la circulation de contenu généré par les utilisateurs et montrant des choses (animaux, bébés, plantes, objets, etc.) perçues comme mignonnes.
Même si les chercheurs et les journalistes mettent en lumière ce phénomène issu des médias sociaux, le partage de photos d’animaux mignons n’est pas nouveau : il y a plus de cent ans, le photographe Harry Whittier Frees avait en effet créé des cartes postales innovantes d’animaux anthropomorphes.
Notre recherche porte sur un segment précis, mais assez important de cette économie : celle qui diffuse du contenu animal. Nous avons constaté que le caractère mignon du contenu animal vient de différents archétypes : animaux insolites ou bébêtes, bébés ou jeunes animaux, contenu regroupant plusieurs espèces, paires enfants-animaux, tailles et proportions extrêmes (très petit ou très gros), apparences inhabituelles et comportements animaux qu’on interprète comme humains.
Si certains comptes d’animaux enregistrent plus d’abonnés que des politiciens et des célébrités, et peuvent ainsi générer leur propre viralité — comme Jiff Pom avec 9,9 millions d’abonnés, Nala avec 4,3 millions d’abonnés, Doug the Pug avec 3,9 millions d’abonnés et Juniper avec 3 millions d’abonnés —, la circulation de contenu animal mignon est également catalysée par les comptes de mèmes ou les comptes vedettes. Ceux-ci, comme celui de la société omniplateforme de Matt Nelson WeRateDogs, réutilisent du contenu et l’organisent.
Créateurs et familles interespèces
À l’instar des mères influenceuses qui créent des comptes de médias sociaux sur leurs bébés, les parents d’animaux créent aussi des comptes de médias sociaux pour montrer leurs compagnons domestiqués.
Étant donné que les gens humanisaient déjà leurs animaux avant la naissance d’Internet, assurer la présence d’un animal de compagnie dans les médias sociaux, c’est un peu comme jouer à faire semblant.
Les gestionnaires de comptes d’animaux humanisent visuellement leurs boules de poils au moyen de vêtements, d’accessoires ou d’ornements. Ils les humanisent également sur le plan textuel, en leur donnant une voix à résonance humaine.
Les créateurs de contenu ajoutent même du vocabulaire propre aux espèces comme du langage de chat, aussi appelé meowlogism (« miaulogisme »), ou du langage infantilisé comme le lolspeak — l’argot d’Internet issu des mèmes lolcat.
Il y a quand même une limite au mignon. Plusieurs participants interviewés dans le cadre de notre recherche ont en effet expliqué que même si l’anthropomorphisme est mignon, les comportements qui semblent forcés ou inauthentiques engendreront chez eux un sentiment contraire.
D’ailleurs, de nombreux créateurs ont compris cela et s’assurent que leur contenu n’en vienne pas à faire grincer des dents.
L’une des personnes interviewées (qui gère un compte pour sa tortue) a fait part de sa gêne et de son incertitude quant à la création de sous-titres. Elle dit qu’il est difficile de trouver « un équilibre entre ce qui fait grincer des dents et ce qui divertit. »
Impact de la consommation et du partage de contenu mignon
Cultiver des relations : Le contenu « cute » est partagé parce qu’il offre une expérience à laquelle s’identifient les gens. Il est également un signe d’attention et de proximité dans une relation.
Une autre personne interviewée sait que sa belle-fille aime les chevaux, et lui envoie donc du contenu ciblé. Selon nous, ce geste montre que l’expéditrice sait ce qui plaira à la destinataire.
Aspirer à un avenir : Visionner du contenu « cute » peut être une forme d’ambition. Par exemple, l’une des personnes interviewées espère adopter un chien quand elle déménagera dans un immeuble qui accepte les animaux. Elle se consacre à suivre des comptes qui présentent des styles de vie auxquels elle aspire, comme celui de The Golden Ratio.
Vivre une connexion interespèces par procuration : Le contenu « cute » rend heureux ses consommateurs parce qu’il leur permet d’interagir avec les animaux à distance, sans avoir besoin d’allouer des ressources pour s’en occuper.
Une autre personne interviewée, qui adore les loutres, consomme avidement du contenu en ligne sur le sujet, mais ne souhaite ni en domestiquer une, ni apprendre à le faire.
Servir une cause : Le contenu « cute » peut servir de moteur de changement. Un créateur ou un appréciateur peut partager du contenu pour mieux sensibiliser à une cause ou pour changer l’opinion des autres.
Par exemple, l’une des personnes interviewées gère le compte de son canard domestiqué. Elle y montre son animal comme étant gentil, aimant et doté d’une personnalité unique, comme tout autre animal de compagnie. Grâce au compte de son canard, elle souhaite ainsi montrer à ses abonnés les effets néfastes du spécisme, et se bat pour une coexistence sans cruauté avec tous les animaux.
Mignon pour de bon
Des études ont montré que les vidéos d’animaux mignons sont bonnes pour la santé mentale.
Que vous soyez créateur, appréciateur ou les deux, le contenu mignon permet d’amorcer des conversations et de faciliter des relations : il casse la glace quand les gens manquent de sujets de discussion ou quand ils souhaitent montrer aux autres leur empathie.
Étant donné l’incapacité des gens à se réunir de façon aussi fréquente et rapprochée qu’avant en raison de la pandémie, nous avons pu partager notre amour à distance grâce à ces petits témoignages d’attention.
La possibilité de renforcer les liens sociaux grâce à la technologie et un précieux atout. Mais comme tout ne peut pas être beau, il existe un côté sombre à l’économie du « cute », alors prenez soin de ne pas partager de contenu d’animaux qui pourraient avoir été exploités.
Ghalia Shamayleh, PhD Candidate, Marketing, Concordia University et Zeynep Arsel, Research Chair in Consumption, Markets, and Society, Concordia University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.